Depuis qu’il a découvert le blues en Allemagne à la fin des années 1970, Big Daddy Wilson n’est plus le même homme. Renfermé, peu à l’aise en public, l’Américain est depuis devenu un bluesman intrigant, un artiste qui a longtemps raconté ses récits profonds en Europe avant de chercher à reconquérir sa terre natale. Son dernier album, Deep In My Soul, enregistré entre Memphis et l’Alabama, en atteste avec éclat. Rencontre.
De son propre aveu, Big Daddy Wilson est un homme timide. Un trait de sa personnalité qui le caractérise depuis l’adolescence et qui le pousse depuis plusieurs décennies à extérioriser ses sentiments dans des textes intimes, traversés ça et là par des élans de sincérité et de justesse. Sur sa vie personnelle, sur l’amour qu’il porte à sa femme, sur sa vision de la musique, mais aussi sur le monde. Un des titres de son dernier album, Deep In My Soul, se nomme d’ailleurs « Crazy World », et cela n’a rien d’un hasard : « Il suffit d’observer Donald Trump pour comprendre que le monde ne tourne pas rond, raconte-t-il. C’est fou qu’un mec comme lui puisse être président d’un pays aussi puissant. Vous savez, j’ai toujours trouvé que le monde était fou, mais c’était souvent dans le bon sens du terme. Aujourd’hui, ça devient difficile de rester optimiste… D’où ce titre, « Crazy World », une façon pour moi d’inciter à la bienveillance à l’heure où tout se dérègle. »
Sweet home Alabama
Quinze ans après son premier album, Get On Your Knees And Pray, Big Daddy Wilson continue donc de scruter ses contemporains, d’en raconter la richesse et les failles. Tout ça, il le fait depuis l’Allemagne, où il a élu domicile à la fin des années 1970. C’était à Brême, dans le cadre de son service militaire. Depuis, l’Américain s’y est construit sa vie. C’est là qu’il a découvert réellement le blues, là qu’il a rencontré sa femme, là que ses enfants ont grandi. Ce qui ne l’empêche de pas de se définir avant tout comme un « citoyen du monde », un homme ouvert à toutes les cultures. « L’Allemagne, c’est ma maison, en quelque sorte. Mais je ne peux me contenter de rester ici, j’ai besoin de bouger. »
Big Daddy Wilson n’est toutefois pas de ces voyageurs qui parcourent le monde pour mettre à bonne distance un bout de leur histoire personnelle. Son nouvel album est d’ailleurs un moyen pour lui de retourner sur ses terres, de puiser l’inspiration au cœur de ses racines : Deep In My Soul est ainsi né entre Memphis et l’Alabama, dans ce Sud des États-Unis si mythique, si essentiel à l’histoire du blues. Si inspirant, tout simplement : « À l’heure actuelle, détaille-t-il, rien ne me pousse à réinventer mon style d’écriture, mais de nouvelles idées continuent d’émerger constamment selon le lieu où je me trouve. L’Alabama a été de ces endroits-là. Parce que Jim Gaines, une légende de la musique selon moi, m’a tout de suite ouvert les portes de son studio et de sa famille, et parce que cette région est hyper fascinante. »
Prince de la ville
Projet intime, presque autobiographique par instant, Deep In My Soul évoque pourtant tout le contraire d’un repli sur le passé ou sur soi. À entendre son auteur, c’est là la beauté du blues, de cette musique tellement sincère et chargée d’histoire qu’elle semble être perpétuellement ouverte aux vents nouveaux. « Le blues, c’est le médium parfait pour parler de tout ou pour tester de nouveaux sons ». On lui évoque alors la fameuse phrase de Willie Dixon (« Le Blues, c’est les racines et les autres musiques sont les fruits »), et son cœur s’emballe : « Le blues sert de fondation à la musique moderne. C’est un genre qui se base sur le feeling et qui prend donc différentes formes selon comment tu te sens ou comment tu souhaites raconter ton récit. Ce sont des tranches de vie, et c’est pour ça que le blues est toujours aussi pertinent en 2019. »
Sans rien révolutionner de façon fondamentale, dans la forme comme dans le fond, Deep In My Soul s’avère lui aussi assez pertinent. Parce que Big Daddy Wilson s’y révèle en conteur malin (« I Know », qui évoque sa rencontre avec sa femme), parce qu’il convoque les ombres de quelques légendes du genre (Eric Bibb, par exemple) sans jamais les figer dans la cire, et parce qu’il assoit sa nouvelle réputation au sein de son village natal. Celle d’un « artiste international », s’enthousiasme-t-il. Avant de conclure, d’un aplomb naturel : « À Edenton, en Caroline du Nord, on a longtemps ignoré mon travail, et ça me faisait mal. C’est aussi pour ça, je pense, que j’avais besoin d’enregistrer aux États-Unis après avoir travaillé avec des musiciens hongrois, italiens ou suédois. Désormais, on me reconnaît, on m’a même remis les clés de la ville. Ça me donne l’impression d’être reconnecté avec mes origines, d’être deep in my soul. »
Big Daddy Wilson – Deep in my soul (Ruf Records)