Ensemble, il y a quelque chose de fascinant chez Binker Golding et Moses Boyd. En tant que duo, leur créativité intersectionnelle les propulse vers un free jazz qui stimule l’esprit et retient l’attention à plusieurs égards.

Ensemble, il y a quelque chose de fascinant chez Binker Golding et Moses Boyd. Séparément, leurs projets évoluent dans des espaces différents. Boyd, le batteur de 26 ans, vogue avec son projet Exodus dans la culture des boîtes de nuit, favorable à l’électro cosmique. Golding, le saxophoniste de 31 ans, qui joue de son instrument depuis 23 ans, est en train de concevoir son propre projet en solo ; les aperçus lors des sessions live à Londres, avec le claviériste Joe Armon-Jones et le contrebassiste Dan Casimir, ont révélé un désir pour le côté plus doux du jazz. Pourtant, en tant que duo, leur créativité intersectionnelle les propulse vers un free jazz qui stimule l’esprit et retient l’attention à plusieurs égards.

Alive in the East ? est le premier album live de Binker et Moses, produit par le label Gearbox Records qui affectionne tout particulièrement le vinyle. L’enregistrement de ce concert s’est déroulé au Total Refreshment Centre, désormais fermé – même s’il reste ouvert en tant que studio d’enregistrement pendant que les discussions continuent avec le conseil municipal de Hackney. Sorti quelques jours à peine avant la fermeture forcée du lieu, sa signification comme enregistrement d’un live s’en trouve renforcée, puisqu’il sert de catalogue à une époque qui ne peut plus être revisitée.

Pour de nombreux musiciens de la scène du Londres underground, le Total Refreshment Centre était, et est encore, un foyer, ainsi que l’épicentre de la créativité, de l’inspiration et de l’expression de soi. Ce que parvient à capter Alive in the East ?, c’est Binker et Moses dans un espace non-habité, libre de toute pression, et ce d’autant plus que le concert a été enregistré sans intention de diffusion.

 La symbiose du duo

Les improvisations entre musiciens qui n’ont jamais joué ensemble sont toujours excitantes. Mais c’est à d’autres égards que la symbiose entre ces deux joueurs d’un duo dont les inspirations sont si diverses est incandescente. Boyd glisse entre du calypso caribéen, de luxuriants mouvements de jazz, et des rythmes nerveux de boîtes de nuit, tandis que Golding n’attend pas de Boyd qu’il détermine l’intensité ; profondément sensible à la spatialité et ses dynamiques, il construit des séquences paroxystiques avec suffisamment d’espace pour que Moses puisse y plonger ; « How Fire Was Made » en est un exemple parfait. Ils font preuve d’audace, tant pour se lancer des défis l’un à l’autre que pour s’élever réciproquement. Ajoutez à tout cela les collaborateurs sur cet album, comme Evan Parker (saxophone), Byron Wallen (trompette), Tori Handsley (harpe), et Yussef Dayes (batterie), et vous obtenez une dynamique qui combine la sagesse et la jeunesse, le brut et le raffiné, la culture des clubs et l’estimé free jazz, et qui peut se mouvoir dans d’infinies directions.

« Nous avons acquis de la profondeur, je crois », affirme Boyd lorsqu’il réfléchit à son approche de l’improvisation avec Golding et son évolution depuis qu’ils ont commencé à jouer ensemble il y a près d’une décennie. « Je pense que je suis devenu plus ouvert aux aléas et à l’échec lorsque je suis sur scène. Je prends encore plus de risques ». Pour Golding, il s’agit de s’aventurer hors de chez soi ; « Je trouve qu’on y pense bien moins mais qu’on essaye quand même de surprendre l’autre personne si on le peut. Parfois, je n’ai rien de nouveau à tirer du chapeau, mais l’essentiel c’est de persister à essayer. Je crois qu’on est comme un couple musical de mariés, avec cette particularité qu’on est tous les deux infidèles et qu’on ramène tout ce drame dans notre relation. C’est cela qui la garde vivace ».

Un écho du passé

Certaines pistes, comme « Valley of the Ultra Blacks », ne seront pas totalement étrangères aux fans de leur dernier album, Journey to the Mountain of Forever. Cependant, dans la vaste majorité, l’album n’est pas une version live de leur seconde collaboration, mais lui sert plutôt de compagnon. « The Death of Light » est une création enchanteresse et médiévale ouverte par Handley, tandis que « How Air Learnt to Move » est un solo de saxophone captivant qui suggère à vos oreilles la transpiration et le sentiment d’urgence qui règnent dans la salle. Il y a des thèmes qui sont repris de « Journey… in water, fire, earth and Land ». C’est une exploration perpétuelle qui médite sur les énergies primitives, sans aucun paramètre défini à l’avance.

« Notre approche de ce projet était très similaire à celle que nous avons eu pour Journey to the Mountain », explique Boyd. « Nous avions des bornes ou des thèmes que nous voulions atteindre. Nous n’essayions pas de répéter des improvisations mais plutôt de faire références aux thèmes originaux que nous avions, tout en laissant les choses assez ouvertes pour s’aventurer n’importe où le soir du concert ».

Les débuts de Binker et Moses, Dem Ones, dégoulinait de sous-cultures londoniennes ; des cadences brisées et brutales et du Jazz moderne perlent sur ses bords. Si les influences sont peut-être plus difficiles à identifier dans Alive in the East ?, il est quand même possible de les reconnaître. Démonter l’appareil pour en découvrir le fonctionnement profond relèverait cependant d’un exercice académique. Dans Alive in the East ?, il ne s’agit plus de se livrer à la réflexion ou à l’investigation. Il s’agit d’un album avec six personnes qui proposent le meilleur de ce qu’ils peuvent produire, tout en essayant de ne pas penser. Comment l’honorer ? Oubliez tout ce que vous venez de lire, laissez tomber vos attentes, et plongez. Certaines expériences de live dépassent tout simplement les mots.


Binker & Moses, Alive in the East ? (Gearbox Records)

Concerts :

12 septembre 2018 – The Jazz Café, Londres

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