Depuis longtemps considérée par les critiques comme une étoile montante, Allison Miller est devenue une véritable maestro de la batterie du haut de ses multiples créations. Leadeuse de son audacieux Boom Tic Boom depuis dix ans déjà, Allison Miller ne recule pas devant la critique. « Nous sommes des gens du jazz », dit-elle. « Nous sommes dans l’instant. »
De fait, l’artiste basée à Brooklyn se positionne comme l’une des visionnaires des évolutions soniques du genre. « La composition de ma palette sonore est devenue si diverse que cela m’a permis de créer ma propre langue dans le jazz », déclare ainsi Miller lors d’une conversation dans un café de son quartier Park Slope, un après-midi de novembre, et après une conférence téléphonique avec le professeur Bob Danziger à Cal State Monterey Bay. « Le mot « varié » décrit tous les aspects de ma vie. C’est mon type de personnalité. Je suis attirée par tant de choses différentes et je suis totalement ouverte d’esprit. Je ne suis jamais très heureuse au même endroit. Je me déplace toujours autour de tant de types de musique différents, tant que des êtres humains jouent ou chantent. Je n’aime pas beaucoup la musique numérique, mais je sors quand même danser de temps en temps. »
Parlez-moi de Boom Tic Boom : dix ans, cinq enregistrements, un nom de batteur génial avec un groupe tout aussi génial, avec Myra Melford au piano et Todd Sickafoose à la basse.
Le nom m’est venu au mitan de ma vingtaine. J’aimais vraiment Max Roach et son groupe M’Boom. Je ne savais pas ce que ces trois mots signifiaient pour moi, mais je savais qu’ils étaient liés au fait de jouer rythmiquement à la batterie. La batterie parle mieux, elle parle fort. Je peux jouer doucement et très fort. Il y a beaucoup de dynamique et la gamme de l’instrument est si large. Si vous pouvez vous y adapter, le monde est à votre portée. Quand j’ai formé Boom Tic Boom, j’ai joué avec Jenny, Ben Goldberg aux clarinettes et Kurt Knuffke au cornet. Ils ne jouent pas fort, alors je dois prendre garde à bien rester en arrière à la batterie, parce que j’aime le mélange qu’ils créent.
Glitter Wolf, votre nouvel album, regorge d’arrangements cinématographiques dont les variations se produisent à différents endroits.
Les chansons sont littéralement sorties de moi un été. Elles étaient simples et plutôt classiques, mais je les ai retournées dans tous les sens. C’est mon groupe et je veux que les morceaux soient des véhicules sur lesquels tout le monde puisse improviser. Au fur et à mesure que le groupe progressait, mon écriture a changé. J’entends plus de voix, alors je me suis laissée aller, sans m’imposer des frontières, une fois que j’ai commencé à entendre plus de transitions, de juxtapositions. Pourquoi quelque chose ne va-t-il pas du rockabilly au jazz mélodique ? C’est comme la chanson « The Ride », qui débute follement, avec une sensation presque de ska-reggae, puis qui se tourne vers le jazz de chambre. C’est un voyage familial, sur la route. Être un parent avec deux enfants peut parfois être comme ça : un moment de folie un jour, et doux le lendemain.
Rapidement, quelles sont vos origines ?
Je suis née à Texarkana, au Texas, mais j’ai grandi en dehors de D.C. Ma mère était pianiste, c’est ainsi que j’ai commencé : avec le piano et la voix. Ma mère voulait que j’apprenne à jouer du piano, alors je n’ai commencé la batterie qu’à dix ans au Timber Mountain Music Camp.
Qu’est-ce qui vous a fait vous ouvrir ?
À 12 ans, j’ai commencé à étudier avec Walter Salb, qui vivait pas loin, dans le Maryland. Les gens m’ont dit « vous ne l’aimerez peut-être pas, mais c’est le gars qu’il faut. » Il s’est avéré être l’homme le plus grossier et de mauvais caractère que j’ai jamais rencontré. Tout le monde a des histoires à raconter à son sujet. Mais il était comme un grand-père et un meilleur ami. C’était un homme spécial. Il avait toujours le New York Times devant lui et avait de fortes opinions politiques. Sa maison était un espace où tous les enfants venaient s’éloigner du sentiment de vivre dans la banlieue du Maryland. Lorsque vous entriez dans sa maison, vous pouviez attraper une cigarette dans un porte-cigarette élégant, et il avait une chicha sur sa table. Nous y allions donc tous écouter de vieux disques de jazz de Woody Herman, Gene Krupa ou Benny Goodman, et fumer des cigarettes en parlant de politique. La télé n’était jamais allumée.
Qu’est-ce qu’il vous a appris ?
Walter était un batteur de swing, il avait un groupe qu’il a appelé le Time Was Orchestra, ils répétaient chaque mardi soir dans son sous-sol. C’est comme ça que j’ai appris à jouer. Il m’a conduit à la scène de jazz. Quand je suis devenue meilleure, il m’a laissé prendre la batterie pendant qu’il dirigeait.
Que vous a-t-il apporté d’autre ?
Walter m’a appris à me rendre compte de l’importance de la communauté et de la famille que l’on s’est choisie. J’ai suivi ce modèle de socialisation le reste de ma vie, car Walter était au centre d’une communauté. Même s’il a rendu tout le monde fou, il a rassemblé la communauté, il n’y avait aucune discrimination d’âge, de sexe ou de couleur. Il a réuni tout le monde. Tout le monde était égal avec lui, dans la mesure où il les avait tous insultés et dénigrés, mais nous revenions toujours, en acceptant notre rôle dans sa communauté.
Quand êtes-vous arrivée à New York ?
J’ai déménagé ici à 21 ans. Au lieu d’aller dans un conservatoire, j’ai commencé à travailler et à apprendre sur des scènes ouvertes. Walter m’appelait une fois par semaine pour me surveiller. Il me laissait des messages du type : « Qu’est-ce que tu fous de ta vie ? », s’il entendait que je jouais avec quelqu’un qu’il n’aimait pas. À sa mort, il y a 11 ans, il m’a légué sa batterie, son piano et toutes ses partitions de big band. Elles étaient toutes écrites à la main, au crayon. J’ai du engager un copiste pour les retranscrire – peut-être qu’un jour, je ferai un disque de big band. J’ai créé un fonds de bourses d’études en son honneur. (Elle retrousse fièrement la manche de son chemisier pour montrer un tatouage représentant de la fumée et les mots : Time Was.)
Parlour Game a fait le spectacle au Joe’s Pub ! Je me souviens d’avoir parlé à Jenny lors du concert de Boom Tic Boom au North Sea Jazz Festival l’année dernière. Elle m’a dit que vous envisagiez de créer un album ensemble. Comment cela s’est-il concrétisé ?
L’idée a commencé sur une tournée du Boom Tic Boom. Ni Myra ni Todd n’étaient disponibles, alors j’avais Tony à la basse et Carmen en remplacement au piano. Le nouveau groupe était une idée de Jenny, et nous avons convenu de faire une collaboration, et de ne pas le faire avec Boom Tic Boom. Dans mon groupe, je prends toutes les décisions. C’est mon bébé, je fais très attention d’être audacieuse afin que chaque membre ait une chance de briller. Avec Parlour Game, il s’agit plus de chansons – façonnées de manière incisive et qui renouent avec nos racines. C’est un peu de swing avec une belle poche de groove – rien de trop intellectuel, enivrant ou expérimental. Si Boom Tic Boom est particulier, alors Parlour Game l’atténue.
Carmen a une telle présence dans le groupe. Comment l’avez-vous connue ?
Todd m’a parlé d’elle. J’avais essayé quelques personnes en tant que remplaçants, mais j’avais besoin de quelqu’un de très dynamique qui comprenne le swing, l’avant-garde et tout le reste. Elle devait jouer tous les genres dans Boom Tic Boom, tout en restant elle-même. Je l’ai appelée pour jouer avec nous au Festival de jazz de Reykjavik et je suis tombée amoureuse de sa façon de jouer, quel que soit le style choisi, toujours d’une façon différente chaque soir. Plus tard, nous avons décidé de collaborer sur un projet d’un mois, qui se révélait être Science Fair. C’est le disque le plus jazz que j’ai fait au cours des années. En faisant cela, j’ai réalisé que j’aimais toujours beaucoup le jazz, et que je réussissais plutôt bien. J’aime collaborer avec des femmes super talentueuses et puissantes. C’est pourquoi j’aime jouer avec Carmen et le groupe Artemis [Renee Rosnes, piano, directeur musical ; Cécile McLorin Salvant, chant ; Anat Cohen, clarinette ; Melissa Aldana, sax ténor ; Ingrid Jensen, trompette ; Noriko Ueda, basse].
En tant que batteuse de vos groupes, êtes-vous la leadeuse ?
Oui. Je prends le rôle de tout contrôler avec Parlour Game. Je tiens le rythme et soutiens tous les membres du groupe. Avec Boom Tic Boom, je suis l’instigatrice. Todd est un soutien à la basse et je prends beaucoup de solos de batterie. Ce sont de merveilleux cadeaux pour un batteur : la dynamique, l’espace, la tonalité. Je suis sidérée de ceux qui ne croient pas que les batteurs peuvent jouer des mélodies. Les batteries sont complètement mélodiques.
Vous êtes tellement engagée, vous enseignez depuis des années au Stanford Jazz Workshop, et êtes devenue la directrice artistique du programme Jazz Camp West. Cette année vous serez une artiste en résidence au Festival de jazz de Monterey.
La meilleure façon de connaître votre instrument est de l’enseigner. Et c’est une autre façon d’improviser. Je ne planifie rien. Avec 35 ans d’expérience, je suis préparée et ouverte. Vous ne savez jamais ce que le climat d’une pièce va être – peut-être que ce que je prépare sera pour des débutants ou au contraire trop avancé, alors je fais simplement avec. J’adore le Jazz Camp West, qui est comme une famille pour moi. C’est ma communauté. C’est là que j’ai connu John Santos, percussionniste du dernier morceau du nouvel album de Boom Tic Boom, « Valley of the Giants », sur lequel je ne joue même pas de batterie !
Ensuite, il y a le festival de jazz de Monterey.
Cette année sera également la première fois que je joue là-bas en tant que leadeuse, avec Boom Tic Boom et Parlour Game. Je suis honorée, surprise, excitée. Je pense à ce qu’un autre de mes grands professeurs de jazz, Michael Carvin, a dit. Il a joué avec le groupe de Dizzy Gillespie, a fait des sessions à Motown et a un duo de percussions free avec Andrew Cyrille. Son grand concept en tant qu’enseignant est de développer qui vous êtes en tant que joueur et ensuite de transmettre. Le jazz consiste à transmettre la tradition. La seule façon d’être un musicien chevronné, c’est de transmettre. C’est devenu ma devise.
Allison Miller, Glitter Wolf (Royal Potato Family)