Avec la sortie de son nouvel album, Christian Scott aTunde Adjuah fait part à Qwest TV des idées qui l'ont inspiré. Totalement absorbé par sa mission, Christian parle de la puissance ancestrale dans laquelle il puise, de l'importance de mettre en avant l'harmonie dans le rythme, et de l'état de l'Amérique moderne.
L’album est le premier projet complet du trompettiste depuis son Centennial Trilogy en 2017 – trois albums qui s’inscrivent dans sa démarche de Stretch Music visant à élargir l’expression vernaculaire et culturelle du jazz. Comme on pouvait s’y attendre, Ancestral Recall n’est pas non plus fait de récits singuliers. Au contraire, dans la quête d’indépendance du son, cette nouvelle œuvre change légèrement d’orientation, opposant son expression à la vénération occidentale pour la musique harmonique et mélodique.
Le rythme coule dans les veines de Christian Scott et de sa communauté. Après avoir été nommé chef de son clan ancestral il y a deux ans, le néo-orléanais cherche à montrer aux nouvelles générations à quel point le contenu mélodique et harmonique est ancré dans l’héritage de leur parcours rythmique. Pour ce faire, il s’appuie sur un désassemblage cubiste et une réconciliation spirituelle. Les morceaux sont construits sur l’assemblage de sons historiquement lointains, des rythmes dont on se souvient à moitié, et de la synergie entre l’ancestral et la postérité. Que l’on y réponde par la danse ou non, c’est une musique qui exige d’être écoutée.
Ayant grandi à la Nouvelle-Orléans, vous décrivez la musique comme une force culturelle qui rassemble. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
La culture indienne noire de la Nouvelle-Orléans est principalement ouest-africaine. Beaucoup de choses qui existent dans l’espace musical, comme les rythmes, les chants et les costumes de cérémonie, font partie de la synergie entre les cultures autochtones d’Afrique de l’Ouest et du Sud-Est de la Louisiane.
Si vous revenez à la sombre histoire de la Nouvelle-Orléans, lorsque les Français sont arrivés et ont amené des esclaves africains avec eux, il n’y avait aucune différence entre les esclaves et leurs frères amérindiens. Lors des premiers recensements effectués dans la région, on a classé les deux groupes dans la catégorie « nègre ». C’est ainsi qu’ont débuté les liens du sang entre eux.
A l’époque et depuis lors, les Ouest-Africains ont voulu rendre hommage aux Amérindiens, qui leur ont aussi offert des lieux sûrs pendant l’esclavagisme. « Mardi Gras Indians » et bien d’autres termes similaires ont été créés par des gens qui n’appartenaient pas à cette culture. Je tiens à dire clairement que c’est vraiment une culture afro-nouvelle-orléanaise, qui reconnaît les contributions des Amérindiens.
En quoi votre passé culturel a-t-il alimenté votre vision de la musique ?
C’est de la culture de La Nouvelle Orléans que vient la musique improvisée créative – la musique jazz. Historiquement, il s’agissait des gens de Congo Square et de Basin Street, créant ainsi des souvenirs culturels collectifs. Il y a des gens comme Baby Dodds, l’un des premiers batteurs de jazz, puis Louis Armstrong, Kid Ory… qui font tous référence à la Nouvelle Orléans. Aujourd’hui, le matériel d’origine provient directement de ma culture. Je ne peux pas souligner à quel point cela a été important pour mon développement : peu de gens commencent à la racine.
En grandissant à la Nouvelle-Orléans, l’apprentissage se fait à travers le canon commun ; rien n’est écrit. C’est ainsi que le jazz a été appris, comme le folklore et les contes, comme une tradition orale qu’il faut vivre dans l’ordre. Par exemple, vous ne pouvez pas simplement aller au Preservation Hall et sortir une trompette pour jouer « Donna Lee », de Miles Davis. Ils vous enlèveraient la trompette, la remplaceraient par un cornet et vous diraient d’apprendre d’abord le « Tiger Lee Rag ». Dans ma maison cependant, nous avons été exposés à la musique qui a précédé le Tiger Lee Rag – de la musique profondément rythmée. Maintenant, j’aime être en mesure de diffuser ces rythmes historiques aux jeunes générations de ma communauté parce qu’ils en ont dans le sang. Mon grand-père était chef de quatre communautés différentes, mon oncle Donald [le saxophoniste Donald Harrison] était aussi chef et j’ai été moi-même couronné il y a deux ans.
Comment ça s’est passé ? Où était-ce ? Y avait-il de la musique à la cérémonie ?
Ce fut un moment vraiment cool. C’était à Harlem. Nous avons décidé de le faire là-bas parce que, bien que la racine de cette culture soit la Nouvelle-Orléans, ces histoires et ces traditions concernent des gens de tout le pays. Je voulais exposer les New Yorkais à des récits américains qui ne font pas partie de nos approches singulières. Il y avait des centaines de personnes et nous avons chanté des chansons traditionnelles. C’est mon frère qui m’a mis la couronne sur la tête et j’ai pu partager ce moment avec tous les êtres chers que j’ai rencontrés en chemin. Toute ma famille. Je ne me souviens pas avoir ressenti quelque chose d’aussi évident que ça. C’était magnifique de partager de vieilles chansons avec des gens qui ne les avaient jamais entendues.
Comment vous êtes-vous informé sur cette histoire, cette culture ? Est-ce principalement passé par la musique ? Ou était-ce aussi académique ?
Il s’agit plutôt d’une étude théorique. En jouant avec d’autres musiciens, vous comprenez leurs récits culturels. Et à travers ça, vous pouvez essayer de tisser une histoire, peut-être décennie après décennie… et essayer de rassembler des personnages et de rassembler des morceaux de l’histoire américaine. Mais ma mère est historienne et j’adore moi-même cette discipline. Quand j’étais à Berklee, j’ai suivi des cours sur la Révolution américaine et les Empires d’Afrique de l’Ouest. Je n’avais pas beaucoup de cours de musique à l’université.
Nos histoires sont si importantes – si on laisse les récits négatifs exister autour de groupes particuliers de personnes, cela peut être vraiment destructeur. J’ai vu de mes propres yeux comment ces choses peuvent devenir très difficiles à gérer. La république américaine est si dense que j’ai senti le besoin de bien comprendre mon histoire personnelle et celle des gens qui m’entourent. On ne peut pas changer quelque chose si on n’a pas de contexte.
Le titre de l’album, Ancestral Recall, évoque instinctivement le passé. Mais vous conceptualisez sa chronologie plus simplement. Est-il même possible de dater votre musique ?
Je ne crois pas que le pouvoir ancestral soit linéaire. Dans ma culture, quand j’étais petit garçon et que l’on nous enseignait les arts martiaux ou les sciences martiales, vous appreniez à puiser dans votre énergie ancestrale – surtout dans les moments de besoin. Le sang de mon grand-père coule dans mes veines, qui est donc ici, par conséquent. J’ai réalisé que je suis aussi bien mon grand-père que mon petit-fils.
L’une des raisons pour lesquelles il y a tant de travail à faire dans certaines cultures est que la mémoire ancestrale est clairement présente. Il y a beaucoup de traumatismes générationnels qu’il faut briser, surtout en Amérique, mais aussi dans la diaspora, dans les espaces coloniaux et africains. Je suis né dans un Chieftain ouest-africain, et bien que tout cela se soit passé à la Nouvelle-Orléans, c’était essentiellement une culture métisse. Le souvenir est là. Bien que ces tribus puissent s’appeler Creole Wild West ou White Eagles en anglais, je sais que les affiliations des tribus sont en fait Yoruba, Loma, Yamasee…
C’est aussi comme ça que la musique se développe. Vous auriez pu me poser des questions il y a dix ans sur la conservation des rythmes de l’Afrique de l’Ouest et le folklore qui l’entoure et j’aurais été capable de donner des informations. Mais pour ce disque, je dirais que 60 % des rythmes que nous avons utilisés n’étaient pas ceux qu’on m’avait appris. J’ai commencé à les compiler, et j’ai parlé avec Weedie Braimah [percussions, voix] et il m’a fait prendre conscience que les rythmes dont je me souvenais venaient directement de groupes ethnico-culturels spécifiques avec lesquels je n’avais aucune relation linéaire. Comment me souvenais-je d’eux… ? Nous les avons joués exactement comme ils étaient destinés à être joués sur les instruments sur lesquels ils sont joués. C’était une expérience flippante.
Pensez-vous à ces choses de manière spirituelle ?
La seule chose que je fais religieusement, c’est faire de la musique. Mais je suis une personne spirituelle. Dans le Chieftain où j’ai grandi, mon grand-père s’assurait que si vous vouliez croire en quelque chose, vous deviez l’examiner à fond. Si vous vouliez toucher à l’Islam, il vous ferait lire la Bible, la Torah et même la philosophie taoïste en même temps que le Coran. Il se serait même assis à côté de toi pendant que tu faisais tout ça.
Ma musique est faite pour donner une énergie similaire à celle que l’on trouve dans les espaces spirituels. Weedie Braimah a eu une grande influence sur l’album parce qu’il connaît toutes les traditions folkloriques de l’Afrique de l’Ouest et qu’il a vraiment le contrôle sur cela. Il a joué pour tous les types de rituels auxquels vous pourriez penser. Nous avons tous les deux pu créer une matière sonore avec Ancestral Recall qui reflète l’énergie de ce que l’on ressent dans les espaces rituels. La synergie entre les cultures et la musique est astronomique.
Votre musique parle-t-elle de tisser des langues vernaculaires différentes ou oubliées, celles que vous pourriez comprendre instinctivement sans les connaître pleinement ?
Oui, c’est exactement ce qui se passe. Quand j’étais petit, je suis allé à un festival en Malaisie avec ma famille dans le cadre d’un échange culturel sur les rythmes appelé Thunderous Drums. J’ai vu des batteurs de cérémonies rituelles de Guinée, de Bali, du Japon, du Burundi… ils étaient tous là. Cela m’a sidéré parce que je pouvais entendre la synergie totale entre eux. Ça me paraissait logique avant même que je joue. Il était évident pour moi qu’à un moment donné, nous sommes tous ensemble.
Si nous sommes très honnêtes, la façon dont la musique nous est présentée est hyper-racialisée et influe sur notre façon d’interagir au jour le jour. Lorsqu’un jeune musicien apprend à jouer de la musique classique, du jazz ou toute autre forme de musique, ceux qui ont un contenu harmonique et mélodique plus élevé sont généralement considérés comme étant plus sophistiqués ou nuancés ou, faute d’un meilleur terme, meilleurs que la musique rythmique. Dans la culture rythmique, il y a toujours un courant sous-jacent de mythes de rue et de mythes tribaux, qui sont en réalité des mythes noirs et métisses. Mon projet s’en nourrit et est centré sur la décolonisation du son. J’ai grandi avec l’accès aux deux types de musique, et je comprends comment ils sont capables d’être aussi excitants, captivants, poignants et déchirants.
En Amérique, on entend souvent des descriptions spécifiques du jazz : « Le jazz, ce sont les rythmes ouest-africains et l’harmonie occidentale… », mais personne ne le croit à la Nouvelle-Orléans. Oui, les harmonies européennes ont certainement un impact, comme l’utilisation de l’accord 7ème de dominante comme une fonction – Monteverdi l’a certainement fait. Mais la façon dont on l’utilise dans le blues est très différente. Agir comme s’il n’y avait pas d’harmonie en Afrique de l’Ouest est absurde ! Allez dans cette région et je peux vous garantir que vous entendrez la racine du blues. C’est aussi blues que possible, mais porté différemment sur le plan rythmique. Ancestral Recall a pour but d’éclairer les côtés harmoniques et mélodiques dans une musique profondément rythmée.
Quel est le rapport avec le concept de la « Stretch Music » ?
Il diffère légèrement. La « Stretch Music » cherche à trouver la synergie entre toutes les perspectives culturelles. Il cherche à devenir un canal pour toutes les langues vernaculaires et à les unifier. Dans la Stretch Music, je pouvais puiser autant dans un raga indien que dans une chanson folklorique polonaise, dans la musique traditionnelle burundaise ou peut-être dans les rythmes du Saramaka en Guyane française. Mais c’est la première fois que je fais un disque qui sonne comme ce que j’entends dans ma tête. Ce n’est pas une dynamique de groupe, donc la sensation est différente. L’intention est différente.
Trouver une synergie culturelle est un travail important, mais en ce moment, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que la prochaine génération ne soit pas étouffée par ceux qui pensent que la musique profondément rythmée est moins sophistiquée que la musique harmonique. Ils freinent la croissance des enfants. En cause : la mondialisation. Les enfants ne font plus de groupes dans leur garage. De nos jours, un enfant de Bombay peut parler à un enfant de Kuala Lumpur. S’attendre à ce que leur musique sonne comme celle du quartier dans lequel ils vivent n’a plus de sens. Les outils nécessaires pour qu’ils puissent faire de la musique seront la capacité de parler tous ces langages musicaux.
Regardez Christian Scott Live at Clermont Ferrand sur Qwest TV
Il y a souvent l’idée de « résolution » dans la musique. Mais ce n’est pas du tout le cas sur ce disque.
Nous devons réévaluer nos priorités. Dans la plupart des musiques occidentales, nous privilégions des choses qui ne sont plus aussi utiles, celles qui nous font du mal et nous éloignent les uns des autres. Je crois vraiment que les gens ont toujours la capacité de s’entendre. Mais être capable d’aller de l’avant, c’est avoir la volonté d’affronter honnêtement ce qui s’est passé, là d’où l’on est sorti. Cet album est différent des précédents parce que les côtés harmoniques ne sont pas orientés vers la recherche d’un endroit sûr où atterrir. Il s’agit de mettre les choses au clair, dans une atmosphère tendue.
Travailler avec McCoy Tyner pendant des années m’a aidé à comprendre les notions de tension et de détente dans la musique. Comment démontrer en musique ce qui se passe en ce moment en Amérique en utilisant des résolutions musicales simples ? Ils n’ont rien à voir avec ce que vivent les Américains. Tout le monde est sur les nerfs. Même ceux qui font partie d’une partie « dominante » de la société se sentent marginalisés, comme si leur voix n’était pas entendue. Faire de la musique pour des êtres humains qui traversent cela ne devrait pas inclure des résolutions musicales heureuses. Écoutez la musique de Mingus et vous pouvez entendre cette lutte, parce qu’il a lutté tout au long de sa vie – cela reflétait ce qu’il vivait et il ne s’agissait pas de faire quelque chose d’acceptable pour les gens. La musique est un conduit pour inspirer la pensée.
Vous vous inspirez de mouvements artistiques comme le cubisme… le trouble, la déconstruction, la recherche et l’exposition de nouveaux chemins… pouvez-vous nous en parler ?
C’est une grande partie du problème. Dans cette culture de l’art, on prend un objet, on le désassemble et on l’analyse, puis on le réassemble de manière abstraite à travers une multitude de perspectives. Si vous entrez dans un musée et que vous voyez un Picasso, vous pourriez voir un homme assis de profil alors que ses yeux vous regardent directement. Quand je regarde ces représentations, il est clair que l’arrangement cherche à vous donner une idée plus globale de ce qui compose la chose. Quel est le rapport avec le son ? Eh bien, harmonieusement et rythmiquement, je vais jouer des choses similaires mais avec des textures différentes. C’est peut-être avec la trompette à sourdine, avec la trompette ouverte, avec un bugle, et je les ai tous réunis dans des formes similaires. Le but est de vous donner une vision plus globale de ce qui compose ce sentiment.
Le chagrin sera ressenti de manière différente derrière une trompette à sourdine, un bugle ou à travers une trompette complètement ouverte, jusqu’à deux octaves. C’est une ligne conceptuelle pour l’album : créer plus de tension parce qu’il y a plus de choses à passer au crible. Lorsque vous écoutez Ancestral Recall, soit vous ne pourrez pas arrêter de bouger, soit vous serez complètement paralysé. En tant qu’audiophile et passionné par l’architecture sonore, il est important de donner à l’auditeur une lecture complètement différente du son. Les disques « clonés » m’ennuient à mourir.
C’est justement le cas sur « Forever Girl », qui semble fournir beaucoup de nuances différentes d’un même amour au sein d’un même morceau. C’est intéressant notamment grâce à ça.
Oui, ce n’est pas sirupeux. Quand la musique devient trop sérieuse, les gens arrêtent de l’écouter. L’intelligence émotionnelle est importante dans tous les aspects de notre vie, mais en musique, c’est vraiment important. Mais même si vous inculquez cela à un auditeur, il ne reviendra pas forcément dessus. Cela ne fera pas partie de leur récit et ne constituera pas un fil conducteur pour ce qui les aide à guérir dans leur vie. Parfois les médicaments sont trop bons, tu vois ce que je veux dire ?
Oui. Mais pensez-vous que ça change quand vous utilisez des paroles ? Les gens sont-ils moins ouverts à l’abstraction lorsqu’il s’agit de paroles ?
Dans 70 % des cas, je suis d’accord avec ça. Mais les changements d’accès dépendent du cadre et de l’environnement dans lequel vous vous trouvez. Dans un contexte d’entrevue comme celui-ci, nous pouvons parler ouvertement, mais parfois je me retrouve dans des situations où je dois mettre une muselière. Il y a tellement de choses que je veux articuler sur ce que nous faisons et je veux que les gens comprennent ce que j’essaie de transmettre. Mais je ne peux pas dire « je t’aime » à un moment où tu écoutes du rock haineux… tu ne le sentiras pas.
C’est la raison pour laquelle j’ai choisi la trompette. Quand je parle de situations socio-économiques et culturelles… ce ne sont que des mots. Mais quand je joue de la trompette, je fais des trucs. C’est une énergie très différente. Je peux parler toute la journée, mais pour les faire parler à la trompette, il faut un muscle complètement différent. Je peux aller au fond de ce que je fais, même s’il n’existe que dans l’abstraction.
Comment s’est passé le travail avec Saul Williams ?
Il détesterait que je dise cela, mais c’est ce que je ressens… vous pourriez faire valoir que cet homme possède la meilleure façon de gérer la parole. Si je devais faire appel à quelqu’un pour exprimer ce qu’a été cette expérience : être en vie et grandir dans la république américaine – la douleur, le traumatisme, tout ce que vous vivez au quotidien aux États-Unis – c’est lui que je choisirais. Ce disque, c’était pour se sentir l’un et l’autre et découvrir comment on fait les choses ensemble. Mais cette année, nous travaillons ensemble sur un disque entièrement collaboratif qui sortira dans les dix-huit prochains mois. J’essaie de créer le cadre parfait pour qu’il puisse parler aux gens.
C’est plus facile pour moi que si c’était moi qui écrivais les paroles. Je chante sur le disque, mais on ne m’entend jamais utiliser les mots. Quand je chante, c’est plus comme ma trompette, dans l’abstraction. Vous devez compartimenter les dons que vous avez. Même Malcolm X et Martin Luther King… ces types n’ont pas écrit tous leurs discours eux-mêmes.
Peut-on terminer en parlant des environnements que vous créez par le biais de l’échantillonnage non musical ? Sur « Shared Stories of Rivals », on entend un rugissement de lion et sur « Her Arrival », une sorte de marché animé.
Vous exposer au monde fait partie de notre mission architecturale sonique. Quand vous écoutez cette musique, elle n’est pas séparée de son contexte, ou de tout autre contexte. Parfois, l’acte d’écouter de la musique peut sembler exister dans un vide, mais il devrait exister dans un espace qui a de l’espace, qui a des sons et des énergies différents. Pour moi, c’est tellement important de puiser là-dedans. Il y a beaucoup de moments où nous utilisons des micros d’ambiance. Nous nous sommes même enregistrés en train de faire des promenades à l’extérieur dans la nature.
Mais dans les « Shared Stories of Rivals » en particulier, nous faisons référence à Sundiata Keita, la première souveraine de l’empire Mandinka, connue sous le nom de « Lion King », et aussi appelée Sogo Sogo Simba. Cette histoire, qui a été transformée en récit de Disney, est en fait l’une des histoires folkloriques les plus denses de la tradition et du canon ouest africain. Nous voulons nous assurer que nous puisons là-dedans dans la palette sonore, que l’auditeur ressente les valeurs et les icônes de l’histoire – d’un garçon qui est né infirme, qui a dû redresser son dos en tirant sur des poids en fer. En guise d’aide, la piste émet des crépitements, il y a du feu, on entend le fer traîné et tiré dans la piste, on entend le grondement d’un lion.