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Sorti en 1971 après une réalisation qui nécessita trois années, le triple-album rassemblait les meilleurs musiciens de l'époque sur une partition entre jazz libertaire et rock psychédélique, dans une ambiance de cabaret et sur des textes de Paul Haines. Un demi-siècle est passé mais la fascination demeure.

Le coffret original, sorti en 1971 sur JCOA Records, comprend trois disques vinyles et un épais livret illustré détaillant le personnel et les paroles. En dernière page, une superbe photo de Carla Bley – elle a 35 ans – dont la signature est précédée de la devise : « Anything not told, wasn’t yet known » (Tout ce qui n’a pas été dit, n’était pas encore connu). Appréhender Escalator Over The Hill est une expérience. Quand on prend l’objet en mains, pour jouer les treize minutes de « Hotel Ouverture » qui occupe la face 1, on pénètre toujours un maelström de sons et de mots dont on ne sort pas facilement.

L’œuvre occupe une place si singulière dans le jazz qu’on hésite à l’y classer. Sa conception, sa réalisation et son contenu sont hors normes, si bien que Escalator Over The Hill fut décrit comme « la quintessentielle déclaration anti-establishment de son époque » par Amy C. Beal, la biographe de Carla Bley. On tient souvent la compositrice pour son auteure unique. Mais la couverture dorée du coffret mentionne aussi le nom de Paul Haines. L’histoire de leur collaboration débute, en janvier 1967, quand l’auteur canadien – qui vit au Nouveau Mexique et prépare son déménagement en Inde – envoie un poème à son amie américaine. En recevant la lettre, Carla Bley découvre que le poème résonne avec une composition sur laquelle elle travaille, « Detective Writer Daughter ». Ainsi nait l’idée d’un opéra, ou plus exactement d’une « chronotransduction », le duo adoptant ce terme inventé par Sherry Speeth, un ami scientifique de Paul Haines. La collaboration, à distance, va durer trois ans. Dans un texte publié peu après la sortie de l’album, Carla Bley explique : « Paul envoyait une série de textes d’Inde, je les posais sur le piano et je les regardais pendant des heures. Tôt ou tard, certaines lignes semblaient avoir une mélodie en elles. Alors, il ne me restait plus qu’à travailler sur cette base, en suivant la forme et le rythme des mots. »


 

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Regardez le concert en duo de Carla Bley & Steve Swallow sur Qwest TV


Pour l’instrumentation, Carla Bley fait principalement confiance aux membres du Jazz Composer’s Orchestra, le collectif fondé à New York en 1965 avec Michael Mantler, l’Autrichien qui est alors son époux. Parmi la quarantaine de musiciens impliqués figurent Gato Barbieri, Charlie Haden, Roswell Rudd, Don Cherry, John McLaughlin, Paul Motian, Jimmy Lyons, Enrico Rava et Jimmy Knepper, soit l’avant-garde jazz de l’époque ; mais aussi des personnalités issues du rock, comme Linda Ronstadt, Jack Bruce (chanteur et bassiste de Cream) et Don Preston (membre des Mothers of Invention de Frank Zappa) au synthétiseur Moog. « Si quiconque voulait être sur l’album, il pouvait l’être », explique Carla Bley qui confia des rôles aux vocalistes Jeanne Lee, Sheila Jordan, Howard Johnson et Paul Jones (membre du groupe Manfred Mann), tout en recrutant Viva, actrice proche d’Andy Warhol. Même Karen Mantler, la fille de Carla Bley et Michael Mantler alors âgée de 4 ans, fut mise à contribution. Le projet est tellement démesuré que des difficultés financières le mettent régulièrement en danger. Devant l’impossibilité de réunir l’armée des musiciens au même endroit au même moment (une trentaine furent quand même rassemblés aux studios RCA de New York), les intervenants sont souvent captés séparément, puis les pistes sont assemblées au terme d’un mixage qui n’est pas le moindre exploit de l’album.

Le génie de Carla Bley fut de rendre digeste ce qui ne pouvait pas l’être – un opéra boursouflé dont les textes manient la poésie, le surréalisme, le mysticisme et quelques considérations politiques, mais dont les personnages (Jack, David, Ginger…) évoluent en dehors de toute logique narrative. Pendant près de deux heures, les six faces moulinent le magma des concepts artistiques surgis au tournant des années 1960 et 1970 : la rencontre dans le jazz des improvisations radicales et des compositions sophistiquées ; le psychédélisme des Doors et le dadaïsme de Zappa ; le râga indien qui infiltre le jazz-rock ; mais aussi des éléments de country et de minimalisme, dans une ambiance générale empruntée aux cabarets de Kurt Weill. Carla Bley, qui imagina même en faire un film, n’a été donné qu’une poignée de fois, en Europe, à la fin des années 1990. A la fois reflet de son époque et projection futuriste, il continue pourtant de fasciner pour ce qu’il conjuge la liberté et le cadre, le sensoriel et le cérébral, l’absurde et le sérieux. Une avalanche qui ensevelit l’auditeur d’autant plus implacablement qu’elle ne cesse jamais : au terme du dernier morceau du dernier vinyle (« … And It’s Again »), le diamant tombe dans un locked groove qui récite un mantra, à l’infini.


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