Plongée dans Flamagra, le nouvel album-monde du très admiré producteur californien Flying Lotus, sorti 5 ans après You're Dead !

Certains artistes modèlent leurs chansons selon les besoins présupposés des auditeurs, d’autres les attirent dans leur monde par la force de sa singularité. En sortant comme premier single de son nouvel album une collaboration avec David Lynch, Flying Lotus est parvenu à l’effet recherché : surprendre et attiser la curiosité. Ce qui est devenu à travers les années le modèle bien identifié de son cheminement créatif, donnant à chacune de ses nouvelles sorties le statut automatique d’événement.

Flamagra ne fera pas exception. Ils seront légion les médias comme celui-ci à aller de leur commentaire, ajoutant des lignes à une littérature (conséquente) qui a largement contribué à la mythologie autour de l’œuvre et du personnage. Flying Lotus est un être étrange en cette « industrie créative ». Il est de ces rares exemples qui donnent un sens à l’oxymore qui lui sert de définition. Le business et l’art réunis en un même geste.

Acolyte sur un titre, David Lynch, bénéficie de ce même statut d’ovni dans la culture de masse : leurs univers respectifs fonctionnent en vase clos, au sein des contours d’un absolu. Ils expriment une singularité centrifuge dans laquelle se fondent leurs collaborateurs. Dans Flamagra, il n’y a finalement que David Lynch pour imposer pleinement sa signature à Flying Lotus le temps d’une moitié de morceau, celle où le réalisateur déclame une histoire dérangeante comme lui seul sait les rendre : un garçon qui enjoint sa mère à rentrer dans la maison pour répondre au téléphone voit arriver un homme en pleine course suivi par un ciel en flammes, criant « Fire is coming, Fire is coming ». Du pur Lynch. Le thème du feu dormait en Flying Lotus avant de prendre, ravivé par le souffle de David Lynch racontant cette histoire à la soirée de lancement de son festival. Enjoint à évoluer sur son propre terrain, le réalisateur ne pouvait qu’imposer sa marque de fabrique : l’inquiétante étrangeté. D’autres invités prestigieux ont ensuite été invités à maintenir l’élan de Flamagra.

Un casting de haut vol

« J’ai toujours eu cette idée thématique en tête – un concept persistant autour du feu, d’une flamme éternelle au sommet d’une colline. Certains adorent, d’autres détestent. Il y en a qui y vont pour un rendez-vous amoureux, d’autres qui y brûlent des lettres d’amour. » Comme il explorerait les différentes manières de percevoir le feu, Flying Lotus multiplie les atmosphères sur ce disque conséquent de 27 titres. Globalement plus groove et funk que ses opus précédents, Flamagra invite un Anderson .Paak au flow plus chantant et sexy que jamais sur « More ». Thundercat, au chant sur « The Climb », et lui sont certainement les plus reconnaissables dans ce flot de collaborations : Flying Lotus leur a écrit de la musique qui leur ressemble. Mais les liens sont plus ténus entre le bassiste – à l’instrument sur la plupart des titres de l’album – et Flying Lotus, l’un ne manquant jamais un projet de l’autre depuis leur rencontre à la fin des années 2000. Flying Lotus produit Thundercat sur son label Brainfeeder, Thundercat, lui, a toujours poussé le producteur à se surpasser. Tous deux issus de la génération Y, leurs univers sont constellés de nombreuses références communes : les jeux vidéos (radio Flylo FM, dans GTA V), les animés japonais, les goûts vestimentaires (amour des sneakers), le bizarre, et certaines de leurs collaborations, dont celles avec Kendrick Lamar et Snoop Dogg sur You’re Dead. Chaque album de Flying Lotus apporte son lot de nouvelles aventures.

Avec Flamagra, le producteur allonge sa liste d’invités prestigieux comme autant de raisons pour lui de faire valoir l’étendue de son spectre musical : les beats bancals à la limite du déséquilibre et les harmonies dissonantes de « Yellow Bellies » avec Tierra Whack comme véhicule du bizarre, le rap énervé de Denzel Curry sur « Black Balloons Reprise » qui nous ramène à un âge d’or du rap de la fin des années 90, le r&b et les accords jazz au piano de « Land of Honey » avec la douce Solange revisités par les envoûtantes de Flying Lotus, la pop aérienne de « Spontaneous » avec Little Dragon. Tous reflètent d’une manière ou d’une autre un univers mouvant mais toujours à l’image de son démiurge, Flying Lotus. Sur les 17 instrumentales Flying Lotus se montre fidèle à sa signature qui avait concentré l’attention du monde sur la scène électronique de Los Angeles. A savoir, beaucoup d’informations : une attention de tous les détails accordée aux textures du son, à des morceaux aux innombrables couches et effets, à des beats polyrithmiques, fouillés, denses, à la qualité des masters… Flamagra y apporte peut-être davantage une légèreté de surface, un laisser-aller mélodique, un vague à l’âme aux couleurs vives – que reflète très bien « Land of Honey ». Qu’il décide de faire un album hard bop, comme c’était le cas pour You’re Dead, qu’il s’inspire plutôt des années 70 et du son du Rhodes – qu’il adore – Flying Lotus finit toujours par faire du Flying Lotus. Il transcende les époques, les genres, ses influences et les attentes qu’on lui porte. Toujours plus. Ce qui explique toute l’attention qui lui est donnée.

Flying Lotus cultive le bizarre

Spotify a annoncé la parution de son single « spontaneous » sur un écran géant à Time Square. Flying Lotus est bel et bien devenu un objet de pop culture, sans que sa musique ne prenne le chemin de la masse pour autant.

La longueur et la teneur même de Flamagra n’ont pas complètement délaissé la densité caractéristique de son travail. Les parenthèses expérimentales plus dissonantes de Cosmogramma ou de Until the quiet comes ne sont plus là. Mais qui découvre Flying Lotus avec Flamagra n’est pas épargné par le challenge parfois désarmant de la première écoute. Même pour les habitués, Flying Lotus reste hors d’atteinte, installé dans la mission qu’il s’est donnée « d’amener le bizarre à la masse ».

Les thèmes métaphysiques explorés dans ses albums polarisent justement ces deux extrêmes : universels, ils n’en restent pas moins abscons. Exemple : qui à part un prêtre peut prétendre expliquer la vie après la mort ? Flying Lotus se prête au jeu au moins depuis Cosmogramma où il évoquait déjà la disparition de proches (ses parents, le pianiste Austin Peralta…), thème qu’il a finalement approfondi dans You’re Dead. « Tous mes albums explorent le même thème : les questions qui m’occupent l’esprit sur ce qui vient après, ce qu’il y a dans l’au-delà. J’essaie de penser à des histoires qui ne sont pas ancrées dans le monde dans lequel on vit, qui viendraient d’un point de vue futuriste où l’on se demande « qu’il y a-t-il d’autre ? Que va-t-il arriver ensuite ? A quoi ressemble la mort ?  ». Flying Lotus donne à ses considérations un écho métaphysique étrange, formalisé par une certaine science du récit.

Le sujet de Flamagra n’est peut-être pas tant le feu que ce qu’il symbolise. Est-il, comme chez Lynch, le véhicule vers une autre dimension ? Il y a une explication au moins biographique au penchant mystique de Flying Lotus : sa grande-tante n’était autre qu’Alice Coltrane, pianiste et vibraphoniste qui en plus d’explorer les tréfonds d’un free jazz ouvert sur l’orient, fut à l’initiative d’un ashram à Los Angeles. Nombre de jazzmen afro-américains situent leur genèse sur les bancs d’églises animées par les chants du gospel. De Flying Lotus on sait qu’il a plutôt assisté aux cérémonies hindouistes accompagnées de la musique dévotionnelle de sa grande tante souvent citée comme modèle.De cette ascendance double, mystique et musicale, viennent peut-être les racines d’un artiste qui décline l’idée de la connaissance dans des formes expérimentales ouvertes sur la possibilité d’un ailleurs. A-t-il une fascination pour ce qu’on ne voit pas ? En regardant au-delà, le producteur californien s’assure toujours un coup d’avance. Flamagra est un nouveau voyage, voici comme il l’introduit : « We are now joined together again/In the space that you’ve created/The world has changed/And so have you/You’re different now/You’re different now/The time of heroes has come again ».


Voir aussi :

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Regardez Anderson .Paak aux Eurockéennes sur Qwest TV !


Flying Lotus, Flamagra (Warp)

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