Après deux décennies à jouer le sideman, Bobby Sparks a enregistré partout et à tous moments. Il rassemble une partie de cette œuvre jamais publiée au sein d'un premier album qui explore le funk, le hip hop, le r&b et le jazz. Y figurent Roy Hargrove, Marcus Miller, Lucky Peterson, Michael League et d'autres membres qu'il côtoie au sein des Snarky Puppy.
Expliquez-moi le titre de l’album, Schizophrenia. A quoi cela fait-il référence ?
C’est à propos d’un album qui va dans de nombreux endroits. J’y ai mis du funk, de la musique du monde, du hip hop, toutes ces directions… En l’écoutant, j’ai trouvé qu’il paraissait schizophrène.
Vous avez voulu mettre tout ce que vous aimez dans un même disque ?
Oui, parce que c’est ce que je suis. J’aime toutes sortes de musique. J’aime Miles Davis autant que j’aime Jimi Hendrix ; j’aime Sly Stone autant que Bach ou Mozart. Je suis toujours un étudiant.
Vous écoutez toutes sortes de musiques, mais pouvez-vous imaginer la vôtre sans le groove ?
Ce serait difficile… ! Parce qu’à la fin de la journée on en revient au soul et au funk. C’est ce qui fait danser les gens, c’est ce qui leur fait bouger la tête.
La production a pris beaucoup de place dans l’album. A quel point êtes-vous intervenu à ce sujet ?
J’ai tout dirigé, pensé, planifié pour ce disque. Pour chaque morceau j’avais une idée de producteur derrière la tête. En écrivant l’album, je savais qui je voulais à la batterie, qui jouerait à la basse, à la guitare ou à l’orchestration. Je savais qui serait le plus à même de répondre à mes exigences.
La production, c’est savoir mettre la bonne personne à la bonne place. Aujourd’hui c’est devenu un sujet sensible parce que les gens pensent être des producteurs parce qu’ils travaillent sur Logic. Mais, à l’époque, celle de l’âge d’or de Quincy Jones, il s’agissait de recruter les bonnes personnes, comme un chef d’orchestre. Mais ça c’était le bon vieux temps, quand il y avait beaucoup de budget pour engager les musiciens. Aujourd’hui c’est fait différemment. J’envoie des fichiers à des musiciens qui enregistrent leur partie de leur côté. On construit les morceaux comme ça, sans avoir nécessairement joué ensemble… Cela coûte beaucoup d’argent d’aller en studio, de faire venir des mecs en avion, de les mettre dans un hôtel… Aujourd’hui, avec la technologie, tu peux bosser avec Logic, Protools et envoyer une base aux mecs.
Cela dit, j’adorerais rassembler 20 personnes en studio. Je n’ai simplement pas pu le faire. J’ai pu enregistrer avec Mark Simmons, à Houston, parce qu’il est texan comme moi. On a fait ça ensemble à Houston. Mark joue avec Al Jarreau depuis 17 ans. J’ai aussi vu Jason Thomas à Dallas. Il joue avec les Snarky Puppy, comme moi, et Forq. Encore à Houston, j’ai vu Brannen Temple, super batteur qui a joué avec Lizz Wright, Whitney Houston, Janet Jackson… Et tellement d’autres gens ! A tous les autres, j’ai envoyé des fichiers.
Il n’y a pas que les musiciens qui sont nombreux à participer à ce disque, les ingénieurs du son changent beaucoup selon les morceaux. Pourquoi ?
Parce que, comme les musiciens, ils ont chacun leur style.
Il faut savoir comprendre ce que l’on cherche à produire avec chaque morceau pour appeler les bonnes personnes. Encore une fois, c’est ce qu’ont fait Quincy Jones, Steely Dan et tous les grands producteurs. Steely Dan appelait même parfois 5 ou 6 batteurs pour un seul morceau !
« Mark Vs Simmons ». Le titre de morceau semble refléter celui de l’album !
C’est l’histoire d’un jeune homme qui s’appelle Mark Simmons, l’un de mes meilleurs amis ! Chris Dave et Mark Simmons ont grandi ensemble, comme meilleurs amis. Ils ont tout partagé, de l’enfance à l’adolescence : les bains, l’école jusqu’au lycée…
Ce sont deux des batteurs les plus versatiles qui existent. Ils peuvent jouer tous les styles de musique sans accent. Ils sonnent toujours authentiques, qu’ils jouent du jazz, du gospel ou du funk.
Chris Dave a toujours été plus connu. Il s’est fait un nom. Mark Simmons est plus comme moi : un sideman. Il joue avec Al Jarreau, a accompagné George Duke, Dianne Reeves… Mais parfois les gens oublient à quel point les sidemen peuvent être bons ! On ne te voit pas jouer tout ce que tu sais faire, parce que tu suis des directives. Le petit con qui est en moi a voulu montrer au monde entier à quel point ce mec est un tueur ; je voulais montrer son côté jazz et son côté funk.
Nous étions en studio et il venait de recevoir son kit de batterie bop. Je lui alors suggéré que l’on fasse un morceau où il ferait un battle contre lui-même. Il m’a trouvé fou. L’idée était qu’il joue huit mesures à la manière d’un Max Roach ou d’un Elvin Jones puis huit mesures à la manière d’un Dennis Chambers ou d’un Billy Cobham. J’ai voulu montrer à quel point il était complet et ai récolté des histoires sur lui auprès de ses proches, ceux qui ont grandi avec lui : Mr Green qui a été son professeur à lui et à Chris Dave ; Robert Sput Searight, qui a vu grandir Mark Simmons et qui joue avec Snarky Puppy et Ghost Note.
Dans les remerciements, tu écris « à mes frères qui ont voyagé sur le Battlespark Galactica ». Par ailleurs, tu nommes un de tes morceaux « Birth of the Sparkschild ». L’identité de Bobby Sparks est-elle double ? L’homme de tous les jours et le musicien ?
L’introduction « Birth of the Sparkschild » évoque des aliens qui descendraient sur terre pour sauver le monde de la mauvaise musique. Des dieux l’aident dans sa mission : James Brown, Sly Stone, George Clinton, George Duke, Johnny Guitar Watson.
Battlespark Galactica, c’est le groupe. Brannen Temple à la batterie, Justin McKenny à la basse est le mec le plus funky que la terre aie connue. Allan Cattle, qui a joué avec Meshell Ndegeocello notamment, à la guitare. Tod Parson aussi à la guitare. On jouait dans le RH Factor ensemble. Keith Anderson, mon frère et le dernier saxophoniste de Prince, il a aussi joué avec Roy Hargrove – ils ont grandi ensemble. Et James Robinson, qui est très probablement mon chanteur préféré. Il est entre un Bilal et un D’Angelo, mais avec sa propre signature.
De toutes les musiciens incroyables avec lesquels vous avez travaillé, qui vous a le plus appris ? Pourquoi ?
J’ai été très flatté de jouer avec Marcus Miller. Parce que je l’admirais vraiment en tant que musicien. Être dans son groupe représentait beaucoup à mes yeux. C’était comme faire partie de la galaxie Miles Davis, puisque Marcus avait joué avec lui !
Marcus est si musical à la basse qu’il m’a influencé dans mon jeu au clavier. La manière qu’il a d’utiliser les harmonies et d’écrire des morceaux m’inspire également.
Mais les concerts que je préférais était ceux du RH Factor ou de Tower of Power. Tower of Power parce que ce projet était fait sur mesure pour moi et le saxophoniste.
Mais de qui avez-vous le plus appris ?
En tant que musicien, avec Marcus Miller. Être avec lui, c’est comme être avec un grand frère. Il a toujours beaucoup d’histoires à raconter, des complètement folles à propos de Miles Davis par exemple. Il est surement le musicien le plus intelligent que j’aie jamais rencontré. Au-delà de la musique, il m’a appris des choses sur la bourse autant que sur la vie quotidienne.
Le RH Factor c’était une jam sophistiquée. Avec Marcus Miller, j’étais une machine, parce que je jouais les basses, du Rhodes et gérais les samples. Le batteur et moi formions la colonne du groupe pendant que tout le monde jouait. J’avais peut-être un ou deux solos.
Vous avez invité Roy Hargrove sur cet album…
Nous avons beaucoup enregistré ensemble sur une période de vingt ans. Donc il y aura du Roy Hargrove dans mes prochains disques également. Je le faisais venir jouer dans ma chambre d’hôtel pour l’enregistrer quand nous étions en tournée. C’est comme ça que j’ai fait pour Marcus Miller. Et c’est comme ça que ce disque s’est construit. A chaque fois que je croisais quelqu’un que j’imaginais sur un titre, je l’invitais dans ma chambre d’hôtel !
En tournée je prends toujours mon ordinateur, ma m-box et un microphone avec moi. Juste au cas où !
Combien d’années cela vous a pris d’enregistrer les morceaux de cet album ?
J’ai commencé à écrire en 1998-1999. « Take It » a été enregistré en 2000. J’ai été inspiré par mon écoute de Chicken Grease de D’Angelo. J’ai enregistré Roy Hargrove dès 2005. Tous les enregistrements se sont faits naturellement, je n’ai jamais couru après le temps. J’ai tenté de faire appel à des musiciens qui ont leur propre son.
Après tant d’années, qu’est-ce qui vous a motivé à sortir un album maintenant ?
Je suis sideman depuis 30 ans. Il est temps pour moi de faire mes propres trucs. Non pas que je vais arrêter d’être sideman, mais je vieillis et ai envie que les gens entendent ce que j’ai dans la tête.
La plupart des morceaux de l’album étaient déjà disponibles sur Myspace à l’époque. Des gens m’avaient dit que ça les avait inspirés.
Puisque ces enregistrements s’étendent sur vingt ans, j’imagine que vous en avez d’autres en stock ?
Une centaine. Je vais les sortir. Et en plus je continue d’écrire !
Bobby Sparks, Schizophrenia : the Yang Project