Au milieu des nouveaux noms de la scène londonienne, Alfa Mist fait figure d’électron libre, un musicien autodidacte n’ayant pas fréquenté les places fortes de l’estalishment musical. Loin de ce tumulte, sa musique invite à l’introspection.
East London, y grandir et s’en affranchir
Au coeur de la musique d’Alfa, il y a la notion de communication. Son premier album, Antiphon, avait été nommé d’après l’un des grands orateurs antiques et s’articulait autour de conversations entre Alfa et ses frères. Avec Structuralism, le pianiste britannique s’inscrit dans la continuité en ajoutant une dimension sociétale à sa musique : « J’ai été affecté par mon environnement. Mon éducation m’a modelé d’une telle manière que je ne sais pas comment communiquer. Structuralism, mon album, dit : « je suis ce que je suis » à cause des structures de la société dans laquelle j’ai grandi. Maintenant, je dois apprendre à communiquer. » Cette fois-ci, ce sont les paroles de sa sœur qui ponctuent les morceaux de l’album.
Ces éléments trahissent une volonté de s’émanciper d’un cadre familial étouffant. Issu d’une famille d’immigrés ougandais installée à East London, Alfa vit aux côtés d’une grand-mère qui ne parle pas anglais. Il s’oriente logiquement vers le football dans un premier temps. Ceux qui l’ont vu en live s’accorderont d’ailleurs sur un fait : le musicien n’est pas extraverti. Légèrement vouté derrière son clavier, la casquette vissée sur le crâne, Alfa tient plus du geek que du phénomène de scène. C’est que le britannique est un habitué des coulisses. Sa rencontre avec la musique, elle s’est faite via le beatmaking lorsqu’il commence à produire du grime. Ce n’est qu’à 17 ans, pour comprendre les musiques qu’il sample, qu’il décide d’apprendre le piano, en solo.
Pour un structuralisme musical
Entre le ballon et la musique, le temps manquait certainement au natif d’East London pour se pencher sur les sciences humaines. Pourtant, parler de structures revient à exposer le déterminisme social duquel il cherche à s’affranchir. Dans un tel courant, ce n’est pas tant le système qui importe que les relations entre les éléments qui composent ce système. Le structuralisme, Alfa ne l’a pas étudié, il le vit.
Pour le britannique, la musique est le langage qui permet d’exprimer ses émotions le plus clairement. Autodidacte, on peut comprendre que la musique lui paraisse fluide. Mais certains éléments des compositions démontrent une compréhension bien articulée de la théorie musicale qui ne saurait exister ex nihilo.
L’impossibilité de communiquer avec sa grand-mère est par exemple retranscrite de deux manières musicales différentes. « Mulago » fait référence au dialecte de cette dernière, avec une complexité rythmique qui traduit la difficulté linguistique. Sur « Jjajja’s screen », ce sont les accords lancinants du quartet de cordes qui confère un aspect dramatique au morceau, la résignation de ne pas pouvoir s’adresser à « jjajja », la grand-mère. Ces deux procédés, complexification rythmique et enrichissement des thèmes, tiennent plus de l’acquis que de l’inné. On devine, pour la deuxième, l’influence de la musique orchestrale sur Alfa. En effet, Hans Zimmer figure au même rang que Miles Davis dans les compositeurs pour lesquels le pianiste s’est passionné.
Laisser parler les émotions
La musique d’Alfa ne se laisse pas facilement circonscrire. Certes, elle découle des pionniers tels que Robert Glasper, tant les éléments de hip hop et de jazz sont entremêlés. Rimshots et backbeats côtoient naturellement de longues conversation entre la trompette, la guitare et les claviers. Sur « Glad I Lived », probablement le morceau le plus chargé émotionnellement, Alfa renoue carrément avec ses amours urbains et nous honore de couplets rappés. Mais son approche musicale, plus harmonique que mélodique, crée avant tout une atmosphère propice à l’expression des autres musiciens. On sent une humilité qui transpire à travers ses choix. Il ne verse jamais dans la démesure. Lorsque la musique s’emballe, lui se contente de tapisser d’accords rêveurs pour mieux laisser briller le musicien qui a pris la parole.
La parole, il la donne également à Kaya Thomas-Dyke, bassiste qui pose sa voix sur « Falling ». Peintre à ses heures perdues, il faut aussi la remercier pour les jaquettes qui ornent les albums d’Alfa. C’est aussi ça l’expression. Sans surprise, Jordan Rakei fait partie de l’aventure, lui qui partage un studio avec Alfa dans Londres. Il clôture l’album avec « Door » dont la note finale résonne à l’unisson avec la première piste « .44 ». Pas de hasard ici, plutôt une invitation à réécouter l’album en boucle. En amitié comme en musique, Alfa fait dans la générosité.