Le décès de Roy Hargrove, le 2 novembre, a fait taire l’un des plus grands trompettistes de jazz de sa génération. Ces 10 morceaux illustrent sa variété de styles et retracent l'évolution ce cette voix de jazz si singulière.
« All Over Again » (Diamond in the Rough, Novus / RCA 1990)
Dès l’âge de 21 ans, le jeune Roy Hargrove a démontré une maturité exceptionnelle dans l’art de la création d’extraits regorgeant de mélodies expressives, chantables, et d’une rythmique gracieuse. Ce morceau de bossa-nova, tiré de son premier album, montre qu’il n’était pas trop attaché à la matrice hard-bop, tant il se promène sur le rythme d’une démarche assurée et élégante, et déploie un lyrisme sanguin. La chanson est également un bel exemple de la solide relation qu’il a forgée avec le saxophoniste alto Antonio Hart, lorsqu’ils entremêlent des improvisations à travers le groove propulsif de la section rythmique.
« Hartbreaker » (Public Eye, Novus / RCA 1991)
Cet éblouissant original de hard-bop est l’un des nombreux salues personnels de Hargrove à certains membres de sa famille et à ses amis. Ici, le titre fait allusion à Antonio Hart, le saxophoniste alto de premier plan qui a partagé les premiers enregistrements de Hargrove. Les deux musiciens ont certainement conclu un accord intransigeant, comme en témoignent les lignes de mélodies sinueuses, à l’unisson, qui glissent à toute allure sur un tempo imprévisible, stimulé par le batteur Billy Higgins et le bassiste Christian McBride. La mélodie de la chanson ressemble à celle de « Birdlike » de Freddie Hubbard, et offre un point de départ similaire pour les improvisations qui repoussent les limites.
« Caryismes » (The Vibe, Novus / RCA 1992)
Un autre hommage de Hargrove à un membre du groupe ; celui-ci est destiné à Marc Cary qui a apporté la sensibilité soul-funk de Lonnie Liston Smith au sein du groupe du trompettiste. Le rythme empreint de R&B se transforme en un groove propulsif qui permet à Hargrove de se détendre et de mettre en valeur son timbre chaleureux et corsé, l’équivalent musical d’un verre de Merlot. Hart, toujours en premier plan, offre un solo de saxophone alto digne d’un Cannonball Adderley, tandis que Cary – le lauréat – martèle des accompagnements percutants sous les solos avant de dévoiler à son tour un solo percussif, orné de blues.
« Soppin’ the Biscuit » (With the Tenors of Our Time, Verve 1994)
Hargrove a toujours montré un grand amour pour ses aînés. Pour ce fantastique morceau de hard-bop, il fait équipe avec Stanley Turrentine, l’un des nombreux vétérans du saxophoniste ténor jazz qui ont honoré With the Tenors of Our Times. Sous un groove incisif qui fait sous-entendre les rythmes de deuxième ligne de la Nouvelle-Orléans, la mélodie devient un vecteur lumineux pour les cris de blues acides de Turrentine et le solo décontracté de Hargrove.
« Roy Allan » (Family, Verve 1995)
Cet hommage évocateur au père de Hargrove, qui a initié le trompettiste au R&B et au funk des années 70, est l’un des premiers morceaux de Hargrove à entrer dans la setlist de ses contemporains. La ligne de basse bien charpenté de Rodney Whitaker créée une ambiance mélancolique sur laquelle Hargrove et le saxophoniste ténor Ron Blake livrent une mélodie expressive à l’unisson. Finalement, le trompettiste joue l’un de ces essais éclatants et succincts, désormais breveté, débordant d’un lyrisme somptueux. Avec les nuances harmoniques de la Motown du début des années 70 et la démarche rythmée du hip-hop du milieu des années 90, cet air est devenu un standard du jazz de la fin du 20e siècle.
« Dream Traveller » (Habana, Verve 1997)
Ici, Hargrove a changé radicalement de vitesse, alors qu’il s’imprègne de l’héritage Cubop de l’un de ses héros – Dizzy Gillespie. Avec Cristol, un grand ensemble de musiciens des États-Unis et de Cuba, ce joyau enivrant témoigne de l’agilité rythmique d’Hargrove, alors que son solo souple danse à travers un groove de rumba. L’album vaudra à Hargrove la première de ses deux victoires aux Grammy.
« Natural Wonders » (Moment to Moment, Verve 1999)
Étant donné l’incroyable don de Hargrove à offrir des ballades, une sortie chargée de cordes est presque une évidence pour lui. Le statut de l’un des plus grands joueurs de ballades de jazz de sa génération est pleinement incarné dans ce morceau à suspens. Avec le saxophoniste ténor Sherman Irby, ils livrent une somptueuse mélodie qui tourne lentement et se tisse à travers son majestueux arrangement de cordes.
« Poetry » (de Hard Groove des RH Factor, Verve 2003)
Après avoir noué une alliance enrichissante avec les Soulaquarians, un groupe de créateurs de hip-hop et des artistes de soul modernes, composé notamment de Questlove, d’Angelo, Erykah Badu et Q-Tip, Hargrove sort sa propre contribution au jazz de début du 21e siècle et au hip-hop. Sur cette articulation brillante, Hargrove – le trompettiste de jazz – se met en avant sur le pont entre le rappeur Q-Tip et la performance vocale pétillante d’Erykah Badu. Mais la voix musicale de Hargrove brille tout aussi bien grâce à son arrangement expressif de cuivres derrière Badu.
« Trust » (Nothing Serious, Verve 2006)
Alors qu’au début des années 2000, on considérait qu’Hargrove explorait beaucoup de hip-hop et de soul moderne, il n’abandonna pas pour autant le jazz. Et cette superbe ballade traduit son enthousiasme d’intégrer une sensibilité R&B slow-jam au jazz moderne alors qu’il dévoile une mélodie pensive sur un bugle qui réclame des paroles amoureuses. Il livre ensuite un magnifique solo, débordant de sensualité nocturne.
« Strasbourg / St. Denis » (Earfood, EmArcy 2009)
Cette pépite alléchante est devenue la chanson-thème du quintet d’Hargrove et un autre morceau de Hargrove interprété par les musiciens de jazz. La ligne de basse robuste de Danton Boller initie le groove qui cède la place à une mélodie hérissée, articulée par Hargrove et le saxophoniste alto Justin Robinson. Après que le pianiste Gerald Clayton ait inséré quelques touches discrètes de reggae stimulées par le batteur Montez Coleman, Hargrove et Robinson s’engagent dans une envolée capricieuse du motif en dents de scie. Une fois que Clayton a réalisé un solo vaniteux, Hargrove lui emboîte le pas avec des riffs staccato qui se transforment en un solo de composition énergique, tout comme l’intransigeant alto de Robinson.
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