« 2 solo albums finished ». Avec un tweet sorti de nulle part, The Internet a relancé une machine déjà bien huilée par le succès de leur dernier album, sorti l’été dernier. Un pour tous, et tous pour un. Endossant son rôle d’ainé, Matt Martians ouvre le bal avec un projet aussi abouti musicalement qu’il est désordonné.
Un homme de l’ombre
Odd Future a proposé une vision novatrice du hip hop au tournant de la décennie. Plus frais, quelque peu sauvage, ce projet puisait son énergie dans le renouvèlement perpétuel des sous ensemble que composaient ses membres. Un des cerveaux derrière ce succès, Matt fonctionne à l’instinct. Sa rencontre avec Tyler, The Creator le persuade de quitter Atlanta pour s’installer en Californie. Son pari sur Steve Lacy reposait sur la même conviction. Quelques années plus tard, les noms des deux artistes sont solidement ancrés dans le paysage musical.
Si Matt a su s’effacer, c’est que sa valeur ajoutée ne réside pas sous le feu des projecteurs. De l’intelligence ? Certainement, mais aussi de la générosité dans ses rapports humains. Syd, avec qui il crée The Internet, lui attribue volontiers le rôle du grand frère. Matt s’accommode bien de ce statut, peu expansif sur sa vie privée et toujours disponible pour les autres. Une rupture difficile remet pourtant sa bienveillance en question. The Last Party, c’est sa catharsis.
La tête dans les nuages
Matt avait pourtant promis de ne pas refaire d’album solo, mais l’amour a cette manie de changer la donne. Après une tournée prenant avec The Internet, il ne lui aura fallu que deux semaines pour finir The Last Party. Cependant, peut-on réellement parlé d’un produit fini ? Les lyrics ne sont pas légion, et les huit morceaux peinent à atteindre la demie heure de musique. Pire, Matt tombe dans le saucissonnage. La plupart des morceaux de l’album sont composés de plusieurs parties, des « morceaux cachés ».
La richesse artistique n’a jamais été un obstacle à l’élégance, mais encore faut-il y apporter de la cohérence. Séparer des grooves complètement différents par simple fondu enchaîné, ce n’est plus de l’audace mais de la paresse. Les parties, très accrocheuses par ailleurs, auraient eu le mérite d’exister individuellement. L’aspect décousu de l’album pourrait donc être recherché ; Earl Sweatshirt a récemment adopté ce procédé à dessein. Si le rendu n’est pas aussi convaincant, c’est que la qualité des morceaux appelait un traitement plus méticuleux.
La tête bien faite
Car musicalement, l’album ne souffre d’aucun temps mort. Avec The Drum Chord Theory sorti deux ans plus tôt, Matt cherchait l’expérimentation, d’où les sonorités brutes et alternatives qui ressortaient. The Last Party présente un corpus musical beaucoup plus facile d’écoute et plus proche des hits auxquels The Internet nous a habitué. « Southern Isolation 2 », par exemple, est une reprise plus travaillée du même titre que le claviériste avait sorti sur l’album précédent.
Depuis les années Odd Future, Matt confère à ses productions une sonorité spécifique. Les nappes planantes et une conception polymorphe du groove sont sa marque de fabrique. Il ne sort jamais de sa zone de confort, pas par absence de risque, mais parce que cette dernière est suffisamment grande. Et pour cause, la contribution de plusieurs artistes à l’album ne dilue aucunement le son de Matt qui digère très bien les influences multiples.
A bien des égards, son approche vocale tient de Thudercat, tant dans la manière de susurrer sur « Out Of The Game » que dans la superposition des voix. Mais on retrouve également les éléments psychédéliques chers à Mac DeMarco qui est d’ailleurs crédité sur la production. Les emprunts sont à leur sommet sur « Off My Feet / Westside Rider Anthem ». La première partie, portée par des accords néo-soul, rappelle la période Aquemini de Outkast. Rapidement, le changement de beat et un jeu de basse plus lourd font la transition vers une deuxième section qui pointe vers les débuts de The Roots.
S’ensuit « Pony Fly » dont le début est marqué par le funk rétro de Steve Lacy. Mais c’est la deuxième partie du morceau qui est le trésor caché. Fusion parfaite entre le futurisme d’Erykah Badu sur New Amerykha Part 2 et l’épopée des Daft Punk sur le titre « Voyager », on ne peut que déplorer la faible durée du passage. Voyager, c’était aussi le nom du premier album de Matt avec son collectif The Jet Age Of Tomorrow. Il en a fait du chemin depuis, mais la discrétion est resté son maître mot.
Qui est Matt Martians ?
Dans une interview avec DJ Booth, Matt assumait son indépendance artistique : « If you make an album that’s completely you and it’s completely honest, nobody can tell you if it’s good or bad, because it’s you ». Mais qui est-il ? Inexistant sur les réseaux sociaux, un comble pour un membre de The Internet, sa musique reste le meilleur moyen de se livrer. Pourtant, sur cette petite demie heure de musique, Matt nous donne peu d’éléments pour comprendre la situation qui l’a sortie de son mutisme. Les lyrics sont trop légères pour exposer ses sentiments, et la musique semble en décalage par rapport à ce qu’il souhaite exprimer.
« Knock Knock » illustre ce paradoxe à merveille. En plein délire sur ses nouvelles chaussures avec lesquelles ils semblent entretenir une relation hasardeuse, Matt se ravise et opte pour des Birkenstocks. Plutôt trivial, lui qui se languissait d’une fille en début de morceau. Certes, le claviériste ne s’est jamais pris au sérieux. « If I have to dress up, I don’t wanna go », claironne-t-il sur « Pony Fly ». Ses pitreries sont certainement un mécanisme de défense pour ne pas dévoiler ses faiblesses. Soit. Il faudra donc s’en tenir à la musique.
Matt Martians, The Last Party (3qtr)