Pour sa première sortie sur le label de Dr. Dre, Aftermath Entertainment, .Paak s’avère être une force de gravitation, animée au centre d’un tourbillon de sujets variés, de genres enlacés et de collaborations prestigieuses. Ici, pour son album retour, son récent succès et son nouveau statut donnent de nouvelles directions à .Paak.
Pour arriver là où il en est aujourd’hui, Anderson .Paak a entamé son grand voyage à Oxnard, avant de revenir y conclure sa trilogie d’album. Le nouveau porte le nom de son lieu de naissance, et le chemin jusqu’à aujourd’hui fut une véritable course folle pour ce rappeur de 32 ans.
Un héros conquérant
Ayant grandi dans une famille désunie, il garde deux souvenirs forts de son père : le premier, lorsque celui-ci est arrêté pour agression familiale alors que .Paak n’a que sept ans ; puis, quelques années plus tard, dans le cercueil funéraire. Mais la musique a toujours été une présence quasi constante pour le jeune homme qui cultivait le sens du rythme et jouait de la batterie dans une église locale.
Plus tard, .Paak a lutté pendant des années pour mettre un pied dans la scène hip-hop de L.A., enseignant la musique pour gagner sa vie et travaillant dans une ferme de marijuana à Santa Barbara. Au cours de cette période, il a failli abandonner la musique à plusieurs reprises, en particulier pendant une brève période sans-domicile avec sa femme et son fils en bas âge.
Par conséquent, la sortie d’Oxnard pourrait bien être une fin de conte de fées pour ce lycéen qui se souvient d’avoir eu un « visions » de « Killing shit with Doc Dre » dans « Who RU ? ». Une décennie et demie plus tard, c’est exactement ce qu’il fait sur le label Aftermath Entertainment. Après avoir figuré sur six morceaux du troisième album studio de Dre, Compton, en 2015, cette sommité du rap joue en quelque sorte le rôle de mentor pour .Paak, l’aidant ainsi à se faire un nom dans le grand public. Au sujet de leur relation, Paak a déclaré qu’ils étaient « deux perfectionnistes qui ne s’arrêtent jamais de travailler sur un projet ».
Oxnard est leur première réussite complète, Dre en étant le producteur exécutif. Elle conclut la trilogie de .Paak (après Venise et Malibu) comme « un retour aux racines », selon ses dires. Il doit avoir le sentiment de se sentir tel un héros conquérant.
Cependant, il y a peu de catharsis dans Oxnard. Au lieu de sonner comme une fin nette et précise, en une structure en trois actes, l’album fait évoluer le son de .Paak dans de nouveaux domaines, formant un nouveau tournant décisif dans son parcours d’artiste.
Lorsqu’Anderson .Paak devient plus sombre
« The Chase », le premier titre de l’album, donne le coup d’envoi de manière appropriée, avec le son des mouettes et des vagues écumeuses qui nous guident vers la voix de Kadhja Bonet. Elle est l’artiste la moins expérimentée d’Oxnard, n’ayant publié que deux albums depuis 2016 (The Visitor, Childqueen), mais sa voix constitue un contrepoids aérien et délicat au flot rauque de .Paak. Ils s’allient au-dessus d’une caisse claire glissante, des envolées mystiques de flûte et des carillons éoliens. Mais cette ouverture est tout aussi sereine que ce qui suit.
Le charme de .Paak s’est en grande partie développé sur Malibu, album acclamé par la critique, et sur le groove complexe et ensoleillé de ses concerts (particulièrement sur la session très réussie du Tiny Desk de 2016). Il a été considéré comme un polymath (batteur-chanteur-rappeur) à la fois lisse, soyeux, doté d’un humour sec et d’un style décontracté et soul. C’est amusant d’écouter Anderson .Paak – et cela n’a pas changé. Mais chez Oxnard, le groove doux auquel nous nous attendions est entrelacé de thèmes hyperactifs et hargneux, ce qui rend le son global plus sombre que les précédentes propositions de .Paak.
La deuxième piste, « Headlow », est celle qui caractéristise le mieux le ton de l’album. Son titre, au sens propre, décrit un acte sexuel qui se produit tout au long de la chanson. Il ouvre la voie à un thème qui se révèle primordial dans Oxnard ; escapades sexuelles tirées à travers le prisme de la langueur de Paak. À la fin de la chanson, la voiture dans laquelle ils se trouvent se heurte à une autre et la musique est coupée. La voix de .Paak lui dit de « continuer comme avant » – il est difficile de se laisser aller à son ton velouté car la finesse inhérente de son travail précédent a disparu.
« Tints » suit, l’une des meilleures chansons de l’album, mettant en vedette Kendrick Lamar dans une chanson sur la nécessité luxueuse de posséder des vitres teintées dès lors que vous atteignez un certain style de vie. Le son rappelle l’ambiance parfois ensoleillée de .Paak, qui navigue à mi-tempo entre une guitare funky et des synthés spacieux. « Paparazzi wanna shoot ya (shoot ya) » sont des paroles qui illustrent le nouvel endroit d’où vient Paak. À l’époque de Malibu, où .Paak se demande ce qu’il est « supposé faire » après que quelqu’un lui a volé sa boisson lors d’une soirée (sur « Come Down ») semble être un lointain souvenir.
« Who R U ? » et « 6 Summers » entraînent Oxnard dans des zones plus sombres qui conviennent mieux à la période de la sortie de l’album (octobre). Le flow de Paak change de vitesse, rappelant parfois le rythme de Childish Gambino sur « Sweatpants ». Tous deux dégagent une ambiance torride et décadente parmi les ad-libs hyperactifs qui évoquent davantage une fête débauchée qu’un salon R&B chill. .Paak traite de sujets comme Trump, les fusillades dans les écoles et la violence policière, sans s’arrêter pour reprendre son souffle. C’est comme si quelqu’un changeait de chaînes sur un écran haute résolution, laissant l’auditeur désorienté dans la rémanence.
L’homme de la situation
En effet, l’album arrive à un moment où .Paak est l’homme de la situation, dans les cercles du hip-hop grand public, au bord de l’hyper célébrité et de l’énergie surréaliste qui doit en découler. Tout le monde semble vouloir faire partie de l’action : J. Cole, Kendrick Lamar, Snoop Dogg, Q-Tip, BJ The Chicago Kid et Pusha T figurent sur l’album. Mais au lieu d’être éclipsé par ces stars très en vue, .Paak se dresse fièrement au centre, entouré de collaborateurs, offrant des changements de tonalités bienvenus, à des intervalles clés.
Oxnard est à son apogée lorsque ces voix entrent en jeu, en particulier Pusha T sur « Brother’s Keeper » et Q-Tip sur « Cheers » (ainsi que les susdites Kendrick Lamar et Kadhja Bonet). Des rythmes plus jazz et des lignes de basse plus colorées entrent dans le mixage vers la fin de l’album, mélangeant rap et funk de manière naturelle pour .Paak.
Dans l’ensemble, Oxnard est une extension du rappeur californien. Mais ce n’est peut-être pas l’album que beaucoup attendaient de lui. Ceux qui anticipaient une maturation logique dans le son de Paak seront surpris de se retrouver dans un territoire plus sombre et plus luxuriant. Au lieu de boucler la boucle, il change de direction.
Anderson .Paak – Oxnard [Aftermath/12 Tone Music LLP]