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Né à la faveur de vacances studieuses de Fidel Fourneyron à Cuba, le projet Que Vola déploie comme rarement le syncrétisme des musiques afro-cubaines et du free jazz.

D’abord parti sur les traces de son prénom à Cuba, Fidel Fourneyron y a finalement multiplié les voyages afin de poursuivre l’apprentissage complexe de l’essence des musiques afro-cubaines. Le tromboniste avait demandé à être introduit à des musiciens locaux en amont de son premier voyage. Mais il n’entreprit de former Que Vola qu’à la suite du troisième voyage, en 2014.

Face à un projet aussi ambitieux, relevant de traditions étrangères à Fidel Fourneyron et ses comparses français, il a fallu à une partie du groupe des années de familiarisation pour atteindre la maturité nécessaire. Elles passèrent par des ateliers, des discussions, des lectures, des répétitions et des tournées. Dans le documentaire sur l’aventure, co-produit par Qwest TV, Fidel Fourneyron, qui est pourtant un musicien échevelé, s’étonne de la difficulté et des subtilités rencontrées. Aussi appliqué qu’il ait pu l’être dans la compréhension d’un idiome aux codes étrangers, le tromboniste français n’avait pas pour autant l’ambition de se limiter à la très souvent décriée appropriation culturelle. C’eût été mal connaître ce moteur de la scène des musiques improvisées en France : attaché aux traditions mais toujours sous le prisme d’une singularité à construire.

En quête des traditions afro-cubaines

Exit le très éculé latin jazz, l’ancrage sera traditionnel et la direction plus avant-gardiste, à la faveur d’un échange : « J’ai essayé de ne pas trop me laisser influencer par ce qui a été fait dans les 30 dernières années dans les rencontres entre le jazz et les musiques afro-cubaines où Cuba était un simple canevas : il n’y avait pas de rencontre à proprement parler. Il y a eu un vrai moment d’ethnomusicologie avant que j’écrive la moindre note de musique. Je voulais aller vers la façon qu’ils ont d’improviser, de construire les formes des morceaux. Ce qui était plus déstabilisant pour les français. »

Première découverte, et pas des moindres, pour le français biberonné aux permanences du Conservatoire : « la rumba et les musiques afro cubaines ne sont pas quantifiées. Toutes les musiques afro-cubaines accélèrent tout le temps. C’est ça qui fait que ça donne la pêche. Au fur et à mesure quand les musiciens se chauffent ça accélère. Moi, tel que l’on m’a appris la musique, je croyais qu’on n’avait pas le droit d’accélérer. Quand tu comprends ça, tu te dis, mais oui mais c’est vrai, pourquoi on s’empêche de le faire ? !  ». A Cuba, Fidel Fourneyron trouve une musique au cœur de la vie quotidienne : « Ca m’a toujours attiré, cette façon de faire de la musique de façon non-scolaire. En France, les musiciens étudient, vont au Conservatoire… C’est beaucoup plus séparé. Les trois musiciens avec qui on joue n’ont jamais étudié la musique à l’école. Quand tu vas à une fête chez quelqu’un, qu’il y a cinquante personnes qui ne sont pas musiciens mais qui connaissent tous les chants et qui les dansent… C’est fou !  ».

Sous le signe du rythme

Liée à la santeria, religion cubaine dérivée du Yoruba, la rumba est construite sur des cérémonies : en chaque rythme résonnent l’appel d’un Dieu et une signification spirituelle. Fidel Fourneyron s’en est inspiré, composant « Les trois guerriers » sur la base des invocations faites lors des rites : « Elles commencent avec les trois percus qui vont dans une salle où il y a l’autel pour le dieu. Les gens ne peuvent pas y entrer tant que les percussionnistes n’ont pas fini. Ensuite, c’est l’oro cantado. L’oroseco c’est une suite, complexe, de 23 morceaux qu’ils jouent pour appeler les 23 premiers dieux. “Les trois guerriers” est basé sur les trois premiers dieux appelés. Quand tu commences à apprendre les tambours bata, en gros c’est ça que tu apprends. »

Par le respect des codes rythmiques de la rumba ; par la délégation des arrangements des breaks à Adonis, ancien directeur musical des Yoruba Andabo, groupe célèbre sur l’île au début des années 2000, Fidel s’est offert la confiance de sa section rythmique cubaine. Elle est un moteur essentiel à l’investissement de chacun : la meilleure musique naît dans le feu commun. Aussi fallait-il que les cubains se sentent concernés autant que bousculés par la musique de Fidel Fourneyron. Eut-elle était trop simple, ils l’auraient prise par dessus le coude. Trop loin de leur histoire ? s’y seraient-ils intéressés ? Sur le respect des traditions afro-cubaines : « Il y a une partie du répertoire dans laquelle je voulais vraiment qu’ils sentent ce qu’ils font : notamment sur la musique sacré. Il y a des morceaux qui ont été construits en respectant vraiment tous les appels qu’ils ont : le gros tambour qui va faire un coup va faire changer le rythme des autres musiciens. ». Sur la place laissée à Adonis, en charge d’apprivoiser les libertés prises par Fidel Fourneyron : «  Il a un vrai savoir faire. Il est très inventif. J’avais envie de lui laisser sa part à lui de créativité. Quand tu sens que l’on t’a fait participer au processus de création et qu’on respecte ton avis, tu es plus investi, plus content de ce que tu fais. Adonis a trouvé des solutions, il a inventé des patterns qui iraient avec ces musiques là. »

Regardez le documentaire en exclusivité sur Qwest TV !

Un syncrétisme rafraichissant

Que Vola offre le double avantage de l’inventivité et de l’intensité : il n’est vraiment intéressant que parce qu’il est le vecteur d’une voix singulière. Armé d’une conception du groove nouvelle pour lui, Fidel Fourneyron a trouvé sa marge de manœuvre dans les harmonies et les espaces. Plus modale, régie par moins d’accords, au contraire de l’Irakere, plus dirigée ; préférant la touche électrique légère du clavier Rhodes au piano, qui présentait le risque de tomber dans le déjà vu, la musique de Fidel Fourneyron ajoute aux musiques afro-cubaines les déséquilibres du free jazz en laissant de côté le « côté très dirigé de l’Irakere ».

Quand les soufflants s’ajoutent aux percussions, la conversation devient trébuchante, plus aventureuse et plus sexy. « On leur [ndlr : les percussionnistes cubains] a fait des petits pièges, des changements de claves, des hérésies quoi ! Eux sont tout le temps sur la clave. Alors qu’en jazz européen on fait souvent des mesures composées, des demi temps qui traînent. Ca a permis de détendre l’ambiance, qu’ils se rendent compte qu’on avait un savoir faire différent du leur. »

Rompu à l’écriture pour grand ensemble, Fidel Fourneyron a trouvé ses modèles chez Duke Ellington, Charles Mingus ou Carla Bley. « Ce sont trois personnes qui écrivent pour des individus. Je crois que c’est important.  », précise-t-il, « les musiciens français ont de vrais espaces de liberté, ça fait que d’une date à l’autre, les concerts ne sont pas monotones. On peut continuer à chercher des trucs. Comme Benjamin Doustayssier, ce sont des gens qui n’aiment pas la routine. » Le chaos d’apparence, d’une « écriture où il n’y a pas de cadences d’accords  », fait d’une multitude d’éléments et de superpositions rythmiques, est contenu par un groove au poil, que les libertés harmoniques prises par les soufflants n’entravent jamais. Embarqués dans des directions plurielles ou dans un crescendo à l’unisson, les membres ressemblent finalement à une troupe qui avancerait comme un seul homme.


Que Vola (No Format)

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