Mort à Brooklyn, où il avait grandi, à l'âge de 92 ans, Randy Weston fut l'un des premiers à défendre l'héritage africain sur le jazz. Hommage à un géant.
Sur la pochette de With These Hands des mains de colosse qui surplombaient les octaves… Elles appartenaient à Randy Weston, décédé le 1er septembre à l’âge de quatre-vingt douze ans, soit soixante trois ans après avoir décidé de consacrer sa vie à la musique. Assez pour creuser de larges sillons dans l’histoire du jazz jusqu’à ses horizons extra-musicaux.
Racisme, peuple noir et afro-centrisme
Né d’un père renseigné sur ses origines africaines, Randy Weston est allé jusqu’à vivre à de multiples reprises sur le continent d’où venaient ses ancêtres. Là-bas il découvrit la prééminence du rythme sur tout chose et en fit un élément essentiel de sa compréhension de la musique. Instrument de revendication, forme d’expression d’une communauté, source de mythes, le jazz fut pour lui la musique populaire qui se jouait dans son quartier et s’écoutait à la radio. Ses voisins et camarades devinrent les musiciens de légendes que l’on continue de chérir à travers le monde : Dizzy, Miles, Monk et d’autres. Tous noirs. Randy Weston voyait le jazz plus précisément comme la musique folk des afro-américains. Celle de leur peuple. Et il plaça la lutte pour celui-ci au-delà de tout, la présentant comme le “thème permanent de [sa] vie”. Déterminé à lutter contre le racisme, Randy Weston, cherchant dans les racines de grandes civilisations africaines un échappatoire au statut de descendants d’esclaves auquel on tentait de les confiner.
Pour lui, se contenter de jouer de son instrument ne suffisait pas. Le talent devait servir la communauté. Son père lisait et savait la richesse de leurs ancêtres, il avait familiarisé son fils aux actions menées par le militant noir, Marcus Garvey qui avait fondé le journal The Negro World et une compagnie maritime, la Black Star Line, afin de rapatrier, à terme, tous les peuples d’origine africaine sur leur continent. Randy poursuivit cet héritage dans sa quête musicale.
En 1961, il se rendit au Nigeria avec une délégation américaine. Ce fut la première d’une longue série de voyages en Afrique. Là-bas il étudia les rythmes, rencontra Fela Kuti qu’il admira pour son engagement, s’installa à Tanger, au Maroc, en 1967 où il venait de découvrir la musique gnawa dont il s’inspira ensuite dans sa musique. Là-bas, il monta l’African Rhythms Club à Tanger, au Maroc en 1967. African Rhythms est aussi le titre d’un album qui fit date dans sa discographie et de son autobiographie, parue en 2010. S’il y avait encore des doutes, les voici effacés. Randy Weston avait délibérément déplacé son épicentre d’homme et de musicien vers le continent africain. Mais ces premiers émois et sa formation de jazzman étaient new yorkais. Dès lors que l’on individualise ses influences, les noms sont en majorité américains.
Les influences
A commencer par Monk qui fut une révélation pour lui et en qui il vit l’Afrique : « A ma deuxième visite chez lui, Monk s’assit au piano et joua à peu près trois heures sans interruption, et sans dire un mot. Je restai assis, émerveillé par son inventivité. (…). Bien que nous ayons quitté le continent africain depuis des siècles, nous avons une approche de la vie et de la musique semblable à celle de nos ancêtres. L’Afrique ne nous a jamais quittés. Quand j’ai entendu Thelonious Monk jouer du piano, cela m’a montré la direction de notre musique, celle où l’on maintient toutes les traditions de la musique africaine à partir de laquelle nous créons au lieu de nous en éloigner ». Outre l’ovni Monk, l’œuvre totale d’Ellington, qu’il cotoya, et les compositions de Dizzy Gillespie trouvèrent en lui un écho dans l’histoire de son peuple. Peut-être sous le modèle du Duke, Randy Weston composa son propre répertoire, faisant appel aux précieux arrangements de Melba Liston, rencontre déterminante de sa carrière.
La tromboniste devint, selon ses mots, « indispensable », à son travail. Ensemble, ils enregistrèrent notamment Uhuru Afrika (1960) et The Spirits of Our Ancestors (1991), deux œuvres majeures d’une discographie dont certains pans restèrent confidentiels, étant sortis par des labels sans moyens. Jamais son écriture ne se fit au détriment des vibrations pour le passeur que Randy Weston était. Raconteur d’histoire, le pianiste avait placé l’émotion au centre de son jeu, avec une sensibilité blues en fond et des rythmes africains. Sa musique venait des tripes. Outre d’innombrables blues, il déclina la forme des valses à laquelle il avait voué un attachement particulier. A ses yeux, la musique avait une dimension spirituelle. Familier des traditions Gnawa ou mandingues, un musicien accompli était pour lui un « guérisseur » qui raconte et délivre les auditeurs de leurs maux.