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“Il n’y a pas d’art contemporain sans Quattrocento, pas de Mozart sans Bach, pas de Coltrane sans cultures orientales”. Et pas de nouveau flamenco sans Raül Fernández Miró, plus connu sous le nom de Refree.

A Barcelone, l’incontournable expérimentateur explore sans relâche les nouvelles expressions du flamenco contemporain depuis qu’il est tombé dedans “par hasard”. Heureux, sans nul doute, pour le genre et tous les artistes qui ont eu la chance de passer par son laboratoire, de Rosalía à Lee Ranaldo. Producteur et guitariste, Refree dévoile aujourd’hui en solo La Otra Mitad, un disque brut infiniment gracieux où riffs et samples offrent une nouvelle voix à ce flamenco 2.0.

« Il y a ce truc sauvage dans le flamenco des anciens, celui de Pepe Marchena, Pepe Habichuela ou Manolo Caracol qui me donne les mêmes frissons que lorsque j’écoute du blues du Delta des années 30. J’aime ces imperfections, cette rage, ce punk. Et tant mieux si c’est sale. »  lâche le catalan, dont les bidouilles expérimentales et la barbe hirsute s’imposent comme autant de marques de fabrique.

Refree est un rockeur. Déjà à la fin des années 90 faisait-il ses armes au sein de différentes formations dont Corn Flakes, un groupe d’hardcore mélodique dont les riffs sans concessions lui valurent une belle popularité outre-Pyrénées. Logique alors, vingt ans plus tard, de le retrouver aux côtés de Lee Ranaldo – guitariste-laborantin des Sonic Youth – que la vie et le Primavera Sound Festival mettront sur sa route, au point de co-produire notamment l’album Electric Trim en 2017 et de ne plus le lâcher depuis.

En fait, Refree vient au flamenco grâce à ses activités de producteur. « J’ai eu la chance d’être sollicité par des artistes qui avaient le désir d’interroger leur patrimoine au présent. »

Et tout porte à croire que la nouvelle garde du flamenco crève de s’approprier ses racines car en moins de dix ans, la demande explose. On trouve notamment Refree aux manettes du premier album de Rosalía Vila, l’iconoclaste Los Ángeles, dont le flamenco crépusculaire lui vaudra sans tarder un succès immense, une nomination aux Latin Grammy Awards et les foudres de quelques gardiens du temple. Les grandes voix le veulent aussi, à l’image de Rocío Márquez (Firmamento), Silvia Pérez Cruz (11 de Noviembre puis granada) ou Kiko Veneno (Sensación Térmica), sans oublier Niño del Eche qui compile remarquablement, dans son Antología del Cante Flamenco Heterodoxo, les expérimentations flamencas les plus excitantes de ces dernières décennies, fandangos cubistes et refrains communistes en tête. « Le flamenco devenait seulement virtuose : les musicien.ne.s jouaient vite et technique, et les chanteur.euse.s se plaçaient systématiquement dans une quête de perfection dont l’académisme m’ennuyait beaucoup. Ce que j’ai voulu apporter à tous ces projets, c’est le supplément d’âme et l’animalité qu’on peut trouver dans le jeu des anciens. »

Aujourd’hui respecté pour sa profonde connaissance du flamenco, donc sa capacité à le vivifier sans le dénaturer, Refree travaille régulièrement avec la frange indépendante du septième art espagnol.

Pour La Otra Mitad, composé en partie pour le film Entre Dos Aguas d’Isaki Lacuesta – plongée d’une rare poésie au coeur du monde gitan, Raül Refree s’autorise la création d’espaces personnels et nouveaux dans lesquels le temps et les voix se dilatent à la faveur de distorsions rock et électroniques pour atteindre, par endroits, l’état de grâce.

 

Chez Refree, la voix est traitée comme une matière organique idéale à manipuler, à sampler, à triturer. Celles du disque lui préexistaient.

« J’ai enregistré un enfant qui chantait dans ma rue, il y a des voix de personnages du film aussi. Mon plus grand plaisir, c’est de leur offrir une nouvelle vie. La voix, c’est ce qui reflète l’âme de la manière la plus directe dans la musique et quand une voix me touche, je deviens fou, j’entre en vibration. Tout le monde n’a pas un violoncelle sous son lit, mais une voix si : c’est très égalitaire en fin de compte. D’ailleurs, j’atteins l’extase quand j’écoute des gens qui ont des voix hallucinantes et qui se foutent de chanter parfaitement », dit-il, visiblement très perméable aux choses du sensible.

 

Et puis La Otra Mitad, oeuvre sonore autant que visuelle, surprend par sa puissance narrative. Lorsqu’est évoquée la dernière partie du disque, portée par une distension dramatique à la limite de la musique concrète, Raül Refree cite dans la seconde async de Ryuichi Sakamoto, John Cage, Pierre Boulez et Les Quatre Saisons de Vivaldi recomposées par Max Richter dans une hybridation électro-classique. Dans la plus pure tradition de ces poètes du son, à son tour Raül Refree égrène sur ses guitares les arpèges andalous, ici sublimés par les inventions de sa caisse à outils électro-acoustique. « Dans La Otra Mitad résident un vide, un mystère. J’aime plus que tout l’idée que les choses ne sont jamais achevées, jamais totalement accomplies. La recherche, la quête, sont toujours actives. »
Claro.


Refree, La otra mitad (Tak:til/Glitterbeat)

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