Un siècle après la naissance de Nat King Cole, le 17 mars 1919 à Montgomery (Alabama), sa voix continue de caresser quelques-unes des mélodies les plus veloutées de l'après-guerre.
Crooner ami de Sinatra, ses racines plongeaient dans le gospel et il fut un remarquable pianiste avant de prendre ses distances avec le jazz. Victime des discriminations de son époque, soutien de John F. Kennedy et du mouvement des droits des civiques, mais ses chansons sentimentales se tenaient à distance des considérations politiques. Jusqu’à sa disparition à 45 ans, Nat King Cole contribua surtout au Great American Songbook au fil d’un répertoire aussi épatant qu’abondant, dont voici dix des plus belles pages.
“Sweet Lorraine” (1940)
Standard de Cliff Burwell et Mitchell Parish publié en 1928, « Sweet Lorraine » a acquis sa popularité en 1940 dans la version d’un jeune chanteur de 21 ans. Pourtant, à la fin des années 1930, Nat King Cole était principalement pianiste. Il faisait la tournée des clubs avec le King Cole Trio, une formation instrumentale complétée par Oscar Moore (guitare) et Wesley Prince (contrebasse). Répondant un soir à la requête d’un client voulant entendre sa voix, Nat King Cole fit sensation sur « Sweet Lorraine », au point qu’il fut décidé d’enregistrer le morceau dans un studio de Hollywood. Sa carrière de chanteur était lancée.
“Straighten Up & Fly Right” (1943)
Signé Nat King Cole et Irving Mills, « Straighten Up & Fly Right » devient le plus grand succès du King Cole Trio en occupant pendant dix semaines la première place du Harlem Hit Parade, qui était alors basé sur les rotations des titres dans les jukebox. Basée sur un conte traditionnel que le père de Nat avait utilisé lors d’un sermon, la chanson sera souvent reprise, de The Andrews Sisters à Dianne Reeves en passant par Carmen McRae et Diana Krall.
“(Get Your Kicks On) Route 66” (1946)
Premier interprète de « (Get Your Kicks On) Route 66 », le King Cole Trio a popularisé ce célèbre rhythm’n’blues écrit par Bobby Troup alors qu’il roulait entre sa Pennsylvanie natale et Los Angeles où il espérait lancer sa carrière de songwriter. Un road trip de trois minutes, dans lequel se lanceront quantité de rockeurs, dont Chuck Berry, les Rolling Stones et les Them de Van Morrison.
“Nature Boy” (1948)
Ecrit en 1947 par Eden Ahbez dont le mode de vie inspirera le mouvement hippie (il campait sous le « L » du panneau « Hollywood » dominant Los Angeles), « Nature Boy » est devenu un standard considérable grâce à Nat King Cole qui en grava la première version en 1948, avec un orchestre fastueux comme ce sera le cas sur les hits « Mona Lisa » et « Too Young », qui l’éloigneront du jazz mais lui permettront de conquérir l’Amérique blanche. Désormais superstar, Nat King Cole va se séparer de son trio. Quant à « Nature Boy », la chanson fera la fortune de son auteur qui se vantera pourtant de vivre avec trois dollars par semaine.
“Orange Colored Sky” (1950)
Chanté pour la première fois par Jonny Edwards, « Orange Colored Sky » a été popularisé par Nat King Cole vingt ans plus tard, grâce notamment aux orchestrations de Stan Kenton. Alors que le crooner a pris le partie de la chanson mainstream, il est cette fois accompagné par un big band pyrotechnique, dont les cuivres et les choeurs pétaradent entre deux parties de piano. « Orange Colored Sky » s’est hissé au sommet des charts et de nombreuses versions lui succèderont, de Screamin’ Jay Hawkins à Lady Gaga.
“Unforgettable” (1951)
Incluse dans l’album du même titre, la chanson « Unforgettable » (signée Irving Gordon) est une délicieuse sérénade vaporeuse qui, en 1951, permet à Nat King Cole de déployer toute la suavité de son timbre, sur les arrangements ciselés de Nelson Riddle. Aujourd’hui, la version la plus célèbre reste celle gravée – virtuellement – avec sa fille, Natalie Cole : en 1991, un quart de siècle après la mort de son père et sur une idée d’un ancien directeur musical d’Elvis Presley, Joe Guercio, elle enregistra ce duo posthume qui décrocha trois Grammy Awards tandis que son album de reprises Unforgettable… with Love fut certifié sept fois disque de platine.
“Caravan » (1956)”
Alors que le monde du jazz lui reproche d’être passé du côté obscur de la force, Nat King Cole relègue l’armada des cordes, vents et cuivres le temps d’un album. Avec John Collins (guitare), Charlie Harris (contrebasse), Lee Young (batterie) et quelques invités quand même, il enregistre After Midnight dans le but de se reconnecter au terreau dont il est issu. Sur « Caravan » de Duke Ellington, une séquence suffit à démontrer sa maestria au piano. Mission accompli : le crooner prouve qu’il reste un sacré jazzman.
“Quizás, Quizás, Quizás” (1958)
En 1958, Nat King Cole se pique d’enregistrer un album de reprises de chansons hispanophones, l’épatant Cole Español, avec grand orchestre et mariachis. Un sommet de kitsch mais un sommet quand même, dont le succès artistique et commercial justifia deux redites du même acabit, A Mis Amigos (1959) et More Cole Español (1962). Une nouvelle génération a redécouvert ce répertoire à la faveur du film de Wong Kar-wai, In the mood for love (2000) dont la BO exhuma « Aquellos Ojos Verdes », « Te Quiero Dijiste » et le classique « Quizás, Quizás, Quizás », une chanson populaire cubaine composé par Osvaldo Farrés en 1947.
“Ramblin’ Rose” (1962)
Bien que sa carrière soit sur la pente descendante, Nat King Cole reste un chanteur exceptionnel, capable d’écouler un million de copies d’une ritournelle aussi anodine que « Ramblin’ Rose ». Le morceau, que reprendront de nombreux artistes country, donne son titre à l’un des quatre albums qu’il enchaine en 1962. Derrière cette image lissée, Nat King Cole est pourtant un soutien du jeune John F. Kennedy et il s’investit, avec son ami Frank Sinatra, dans le mouvement des droits civiques.
“L-O-V-E” (1965)
Porté par swing aérien et chanté avec un sourire qui s’entend, « L-O-V-E » ouvrait le dernier album (au titre éponyme) de Nat King Cole. Après avoir enregistré la version originale, en juin 1964, aux studios Capitol de Los Angeles, le crooner en grava cinq nouvelles en japonais, allemand, italien, espagnol et français (« Je ne repartirai pas »). L’album a été bouclé en décembre de la même année, alors que son cancer de la gorge venait d’être diagnostiqué. Il est sorti en janvier 1965 et Nat King Cole est décédé le 15 février, à l’âge de 45 ans. Cette chanson d’amour est son testament artistique.