Connu avant tout pour être aux manettes des disques récents du rappeur Lando Chill, le producteur Andy « Lasso » C., devenu The Lasso, sort un album « solo ». Les guillemets s’imposent, car The Sound of Lasso travaille une matière préparée par pas moins de treize musiciens.
Élevé dans le Michigan, The Lasso a grandi au son de la Motown. Du célèbre label, il retient autant une manière de faire de la musique, une représentation de la création musicale, que la musique elle-même. « En plus d’être un son vivifiant, palpitant, la Motown donnait l’image d’un processus de création et d’enregistrement si amusant et collaboratif » que le jeune Andy Catlin s’imaginait déjà à la place des musiciens qu’il voyait sur les photos.
Quant au jazz, il n’est pas pour rien dans sa vocation musicale, même si c’est de façon indirecte et parmi bien d’autres influences. Il n’est pas anodin que la description de l’album débute par une allusion à John Coltrane. « Le jazz a toujours été quelque chose à rechercher, à viser… Je n’ai jamais eu la dextérité, la formation ou le dévouement nécessaires pour pouvoir revendiquer d’une quelconque façon cette forme. Ceci dit, ma musique évoque souvent des ambiances ou des lieux. Mes compositeurs de jazz favoris sont Charles Mingus, Sun Ra et Alice Coltrane, parce que leurs compositions vous emmènent loin de vous-mêmes, vous font sortir de vous-mêmes ; chez eux, il s’agit moins de virtuosité que d’utiliser son talent au service d’une exploration auditive. »
Exploration auditive (Aural exploration)
C’est à une telle exploration auditive qu’invite aussi, à sa manière, The Sound of Lasso. À l’écoute du disque, l’ambition d’exprimer des ambiances et des lieux s’entend sans difficulté. La « fraîcheur d’une forêt du Michigan en automne », climat retrouvé après celui, aride, de l’Arizona dans lequel The Lasso a vécu quelques années (son pseudonyme vient d’ailleurs de l’influence du maître ès western Ennio Morricone), voilà notamment ce qu’il s’agit de restituer ici. Si l’on excepte un passage par l’Ohio, l’album a d’ailleurs été enregistré dans différents studios de l’État des Grands Lacs. C’est aussi une certaine nostalgie, un souci du temps qui passe et de la mémoire qu’il suscite qu’évoque cette quinzaine de titres qui, tout en traversant différents paysages, forme une trame continue.
Si exploration il y a, c’est aussi que ce projet individuel procède d’une matière collective. The Lasso s’est en effet appuyé sur les apports de treize musiciens, lui-même jouant plusieurs instruments, du piano à la batterie en passant par la guitare. Une expérience dont les racines plongent à l’origine de son parcours musical : « Ma vie musicale a commencé en jouant de la clarinette dans l’orchestre de l’école, j’ai donc toujours baigné dans l’idée de réalisation collective. » Cela donne au disque une texture orchestrale assumée, qui mêle les sources sonores au point qu’elles en deviennent indistinctes : « Je voulais vraiment relier mes productions électroniques à la sensation donnée par plein de voies instrumentales, pour créer un son unifié. À travers ma discographie, que je joue moi-même des instruments, que je sample ou que je joue avec un groupe de musiciens, il y a toujours dans mon son ce ton léché, orchestral. Des textures larges dans lesquelles on peut plonger, s’immerger. »
Pour cet amateur de toutes les musiques, qui écoute aussi bien du classique que de la country ou du rap, une séparation entre « machines » et « instruments » n’a alors pas de sens. L’hybridation fournit la feuille de route. « Pour moi, le sampling n’est rien d’autre qu’une pratique instrumentale comme une autre. Être un bon échantillonneur est aussi difficile que de bien jouer un instrument. Ma musique sera toujours un mélange d’électronique et d’acoustique. J’aime me situer sur cette frontière parce que c’est là que je peux être vraiment moi-même. Si cet album m’a apporté quelque chose, c’est bien ça : davantage de connaissance et d’inspiration pour mêler précisément ces univers avec force… même si je commence à peine. »
Étape importante, The Sound of Lasso s’inscrit en même temps dans la continuité du travail de celui qui se décrit comme un « rat de studio ». « J’ai participé quotidiennement à des enregistrements depuis l’achèvement de The Sound of Lasso. C’est ma culture, mon mode de vie. Et je vais consacrer cette année à produire des projets pour différents rappeurs et/ou chanteurs. Je travaille à obtenir une saveur particulière me permettant d’explorer la gamme de mes intérêts musicaux : du funk psychédélique, du boom-bap éthéré, de la musique électronique expérimentale… » Tout en conservant son sens des lieux, The Lasso n’a pas fini de s’affranchir des frontières.
The Lasso, The Sound of Lasso (Mello Music Group)