Après avoir manié virtuosité et humour, le violoniste et le pianiste changent de cap avec Montevago, un album inspiré par les textures électroniques, l'indie-rock et même la crise migratoire, en poussant plus que jamais leurs instruments dans leurs retranchements.
Depuis une dizaine d’années, la rencontre – à Paris – entre Théo Ceccaldi et Roberto Negro fait des étincelles sur la scène jazz européenne. Outre que le violoniste et le pianiste fricotent dans leurs formations respectives ou au sein de l’ensemble Tricollectif, ils forment un duo conjuguant musique de chambre et jazz, érudition et dérision. Ce fut le cas avec Babies (2015), un album principalement improvisé sur scène, puis avec le programme Danse de salon au moyen duquel ils malmenèrent la tradition des menuets, gigues et autres quadrilles pendant deux saisons. Ce dernier projet devait être enregistré. C’était sans compter sur la créativité qui turbine dans leurs bulbes, et que leur partenariat dédouble. Deux mois avant d’entrer en studio, ils ont changé de cap et envoyé valdinguer folklore, virtuosité et second degré. « Avant l’été, un concert a été révélateur – on n’avait plus envie de ça, raconte Théo Ceccaldi. Nous étions lassés de l’humour et on voulait se diriger vers des choses plus profondes, calmes et pures. Quand je sors d’un projet, j’ai souvent envie de prendre son contrepied, et Roberto est dans le même état d’esprit. Alors, on a tout remis à plat et on est reparti de zéro. »
« Nous sommes compositeurs l’un autant que l’autre, et sans aucun problème d’égo », dit Roberto Negro pour expliquer que chacun est reparti des fondations, pour formuler des propositions qui ont ensuite été fignolées, amendées, détournées et finalement signées en commun. « Les concepts ont été déterminés à deux », confirme Théo Ceccaldi. Un processus au cours duquel ils ont exprimé leurs envies du moment : Théo a envoyé à Roberto des morceaux de Voï Voï et Flavien Berger, en insistant sur son goût pour le minimalisme et les textures électroniques ; inversement, Roberto a initié Théo à la chanson « 3WW » du trio indie-rock londonien alt-J. D’où un recours aux boucles combiné avec l’apparition de textes sur « Zodiac Poisson », ritournelle qui cache une évocation glaçante du sort des migrants en Méditerranée. Le violoniste et le pianiste continuent surtout de pousser leurs instruments dans leurs retranchements, en torturant leurs cordes respectives par tous les moyens, pour en extirper des capacités (timbre, percussion) dont on ne les pensait pas capables. « Cette pratique ouvre tellement de possibilités qu’on ne s’interdit rien. De cette manière, on peut mettre les auditeurs et nous-mêmes dans des états de transe ou de contemplation », détaille Roberto Negro qui entend impacter « physiquement plus qu’intellectuellement » avec son piano préparé.
Très architecturé malgré les improvisations qui infiltrent les structures, ponctué par une habanera et une tarentelle, à rapprocher du fantasque Tyondai Braxton (sur « Romeo Rodeo »), cet album a été bouclé dans une urgence ayant éperonné l’inventivité de ses auteurs. Montevago porte le nom d’un palais décati sur les hauteurs de Palerme. C’est ici que Roberto Negro et Théo Ceccaldi ont tourné une vidéo et mis en scène les visuels, où ils posent sous les dorures dans des postures incongrues. Ces deux musiciens iconoclastes ne gardent jamais longtemps leur sérieux.
Théo Ceccaldi et Roberto Negro, Montevago (Brouhaha / L’Autre Distribution)