Concord Music réédite un projet phare de la carrière de Ray Charles. En 1962, la superstar américaine a choisi d'explorer le patrimoine de la musique blanche américaine. Qwest TV raconte l’histoire de Modern Sounds in Country and Western Music, volumes 1&2.
Avez-vous entendu dire que le nouvel album de Beyoncé sera entièrement composé de reprises de Dixie Chicks ? Maintenant, imaginez un instant que cette information est vraie… Pensez-vous que cette association hypothétique de la chanteuse noire américaine de R&B la plus emblématique de sa génération, avec des tubes éprouvés de country/pop pourrait être un succès ? « Hors sujet », « trop risqué », « c’est une appropriation culturelle », diraient surement des directeurs artistiques qui se focalisent sur le résultat final d’un tel projet.
Maintenant, remontons le temps de 57 ans jusqu’en 1962 – à l’apogée du mouvement des droits civiques – lorsque Ray Charles, qui était la plus grande star r&b du moment, proposa un album entièrement composé de chansons rendues célèbres par des interprètes blancs, principalement issus du sud de l’Amérique, des musique country et western. Billy Joel, le pianiste blanc nourri de r&b, qui ne doit rien à Ray Charles, a résumé l’audace de l’album : « Voici un homme noir qui vous donne la musique la plus blanche possible de la manière la plus noire qui soit, pendant que le Mouvement pour les droits civiques mettait le pays sans dessus dessous ! ».
Les deux volumes de Modern Sounds in Country et Western Music ont réussi à célébrer le vocabulaire émotionnel commun d’un pays à majorité blanc et de l’idiome du blues principalement noir. « Les paroles des chansons country sont très terre-à-terre comme dans le blues, voyez-vous, très authentiques », raconta Ray Charles au journaliste Ben Fong-Torres de Rolling Stone, « Les gens ne sont pas aussi bien habillés et sont très honnêtes, ils disent : « Écoute, chérie, tu me manquais, alors je suis sorti me saouler dans ce bar ».
Concept album avant que cela soit un concept d’en faire, ces deux disques et le single à succès « I Can’t Stop Loving You » sont restés l’un des plus importants succès commercial et d’estime de Ray Charles. « I Can’t Stop Loving You » a si bien vendu qu’un distributeur de disques basé à Atlanta a proclamé que « des gens qui ne possèdent même pas de tourne-disques l’achètent », tandis que Billboard disait du très populaire premier volume que ses ventes « égalaient certains des premiers disques d’Elvis Presley » !
Après la fin de son contrat qui le liait à Atlantic Records, axé sur le r&b et le jazz, en 1959, Ray Charles signa chez ABC-Paramount, où il réussit à obtenir un contrat d’enregistrement sans précédent (pour un musicien noir) avec un contrôle artistique total. Ses albums suivants sur ce nouveau label furent un amalgame apparemment incongru de gospel, de big band de jazz, de blues et de pop. Puis, en 1962, Charles ajouta un autre ingrédient musical. La musique « Hillbilly », comme il le disait, c’était la musique de sa jeunesse, quand les sons du Grand Ole Opry régnaient sur les ondes.
Charles chargea son producteur et manager, Sid Feller, de l’aider dans la sélection d’un répertoire de mélodies country et western « modernes ». Résultat : environ 250 chansons réduites à deux douzaines par Ray Charles, dont des classiques de Hank Williams (« Hey, Good Lookin », « You Win Again » and « Your Cheatin’ Hear »), Don Gibson (« I Can’t Stop Loving You », « Don’t Tell Me Your Troubles » et « Oh, Lonesome Me ») et des standards tels que « Careless Love » et « You Are My Sunshine. »
Le premier volume commence sur un rythme vertigineux avec le hit de toujours « Bye Bye Love » sur lequel il lâche un « hey » tapageur, rassurant ses fans de r&b sur le fait que sa version country ne sacrifie ni le rythme ni le swing. De la même manière, le morceau majeur du volume 2 met en vedette les choristes de Ray Charles, The Raelettes, dansant avec lui sur une lecture émouvante de « You Are My Sunshine ». En dépit d’une approche musicale qui laisse à désirer, superposant un big band et une orchestration jazz et des choristes remplaçants, l’accompagnement s’articule avec succès autour de la voix nuancée et charismatique de Ray Charles, préfigurant sa transition de compagnon de route du r&b et du jazz à celui de chanteur pop universellement aimé.
La bénédiction du succès populaire et critique de ces albums s’est cependant avérée être une malédiction pour Charles, puisqu’elle semble l’avoir encouragé à enregistrer de plus en plus de disques pop sans prises de risques, dont aucun ne résonnait aussi puissamment auprès du public que Modern Sounds in Country and Western Music. Le mélange audacieux d’influences culturelles orchestré par Ray Charles sur ces deux volumes rend leur écoute agréable. Leur succès a permis de rapprocher l’Amérique blanche et l’Amérique noire, comme l’expliquait le journaliste Robert Christgau : « Bientôt, la diction de Ray Charles, son sourire « champ de coton », l’humour « pain de maïs » et les démonstrations d’émotions exagérées devinrent le procédé habituel dans la musique américaine, noire et blanche. » Ou, pour le dire simplement, l’écrivain Daniel Cooper a écrit à propos de ces albums : « C’est une idée aussi ringarde que n’importe quelle chanson country à laquelle vous pouvez penser, et que Charles savait vraie ; la musique unit les gens. C’est vraiment le cas. »
Ray Charles, Modern Sounds In Country and Western Music, Vols. 1 & 2 (Concord)