Jamais encore n'avions-nous pu écouter un album en duo de Charlie Haden et Brad Mehldau. Impulse! vient de rendre cela possible avec la sortie de Long Ago and Far Away, un enregistrement live de leur première apparition en duo sur scène, en 2007.
Le 13 janvier 2015, lors du mémorial de Charlie Haden à l’hôtel de ville de New York, Mehldau a reconnu combien Haden, qui fut héroïnomane dans sa vingtaine, l’avait aidé à traverser des moments difficiles.
« Charlie fut un mentor musical et spirituel pour moi », a-t-il ainsi déclaré après que la femme de Charlie Haden ait confié : « mon mari se sentait responsable de partager la beauté dans le monde et de communiquer la musique créative comme une façon de voir le monde. Il se sentait chez lui et en sécurité lorsqu’il jouait de la musique. Tout au long de sa vie, Il a fait face à des défis – polio et addictions – et il s’est senti obligé de toujours rester vigilant. Il avait l’habitude de dire : “J’ai des ennuis quand je pose ma basse”. »
Haden avait vu en Mehldau la capacité à faire progresser l’idiome du jazz grâce à sa personnalité de pianiste aux harmonies raffinées. Il cherchait ardemment de nouvelles rencontres avec son âme sœur, ce qui lui a valu d’être invité par le festival Enjoy Jazz à jouer avec lui, en novembre 2007, dans la cathédrale Art Nouveau, la Christuskirche, de Mannheim. C’était leur première apparition en duo, et elle fut enregistrée.
Haden écoutait souvent cette cassette, et souhaitait qu’elle soit publiée comme un album live. Ce rêve est devenu réalité en octobre, lorsqu’Impulse !/ Universal Music Canada a publié Long Ago and Far Away – un nouvel enregistrement exceptionnel qui vient s’ajouter à l’œuvre de Charlie Haden en duo. Lors du mémorial, Mehldau est revenu sur ce concert : « C’est excitant de jouer avec quelqu’un qui improvise comme cela (…) souvent libéré du schéma harmonique fixe… et Charlie improvisait l’harmonie en partant de zéro. »
Long Ago and Far Away : un rêve devenu réalité
Long Ago and Far Away débute avec « Au Priv » dans un cadre où Mehldau et Haden font régner une anarchie joueuse. Le pianiste semble danser sur les mélodies, entouré par la tendresse lyrique du bassiste qui installe la fluidité de leur improvisation en cours. Comme la plupart des concerts en duo de Haden, celui-ci est traversé par l’émotion d’un courant calme qui anime ce monde spirituel et contemplatif. Il n’y a pas de surprises dans le répertoire, mais une grande écoute et une conversation qui œuvrent tout le long. Sur le titre éponyme, une mélodie d’Ira Gershwin et de Jerome Kern issue de la comédie musicale Cover Girl de 1944 (avec Rita Hayworth et Gene Kelly) Mehldau brille d’une nuance de swing et d’un staccato attaqué d’un doigt au milieu du morceau, pendant que Haden, attentif aux recherches de son partenaire, les mène avec sa basse vers un endroit où de nouvelles possibilités d’écoutes du morceau s’ouvriront à nous. La paire se repose sur la transcendance du solo sur un titre qui a toujours été un favori de Haden : « My Love and I », composé par David Rasmin pour The Apache, un film de 1954. Le bassiste, qui avait enregistré le morceau avec son Quartet West, a déclaré que la chanson avait « une mélodie et des accords très profonds. »
Ce live dégage un sentiment mystique et agréable de tension et de libération, chaque improvisateur développant les idées de l’autre et rebondissant sur son inventivité dans une confiance sereine. Ils sont comme deux conteurs lancés dans une conversation amoureuse.