Lee Fields est l'invité du mois d'avril de Qwest TV. A l'occasion de la sortie de son nouvel album, It Rains Love, ce pilier de la soul s'est assis avec nous.

Lee Fields chante professionnellement depuis aussi longtemps qu’il est marié : cinquante ans. Il est maintenant un vétéran du soul game et champion de l’amour éternel. Parti avec 20 dollars en poche, il est maintenant en position de choisir ce qu’il veut faire, quand il va le faire. It Rains Love est selon lui la première fois où il trouve confiance et le bon moyen de dire exactement ce qu’il aimerait. Généreux et enthousiaste dans une conversation qui va de la lueur de la lune à la nanotechnologie, où nous abordons l’interchangeabilité des notions de l’amour et de Dieu. Lee Fields se livre aussi pour la première sur l’un des évènements les plus importants de sa vie.

Vous devez être très à l’aise avec The Expressions maintenant. Quel genre d’étape représente cet album dans votre relation avec le groupe ?

Leon Michels [chef du groupe, cofondateur de Truth and Soul Records] a maintenant deux studios, l’un chez lui et l’autre en ville. Tout ce qu’il a à faire, c’est de se réveiller et il peut travailler, et je pense que cela a accru sa créativité. En ce qui me concerne, j’ai vraiment réfléchi à ma vie, je me suis posé des questions sur ce que je voulais vraiment dire et entendre. Maintenant, je suis à un stade où je dis des choses que je veux vraiment dire. Pouvoir dire ce que vous ressentez est un cadeau. Nous avons tous la capacité de le faire, mais le contexte doit être le bon. C’était le cas pour moi avec ce nouvel album.

Ce que vous dites dans vos paroles est souvent très simple, mais très bien exprimé. Avez-vous parfois du mal à trouver cette combinaison parfaite de mots ?

Quand j’écris avec The Expressions, nous n’essayons jamais de faire des choses qui ne vont pas. Nous écrivons ce que nous aimons et nous passons un bon moment à le faire ! Nous rions aussi beaucoup tous ensemble, jusqu’à ce que l’un des gars nous fasse reprendre notre sérieux ! Mais sérieusement, en regardant le monde, nous essayons d’écrire ce que nous voyons et ce dont nous pensons avoir besoin. Nous voulons écrire quelque chose qui amène une personne à réaliser son propre bonheur. C’est ce que dit la chanson « God Is Real ». Quand les gens pensent à Dieu, ils voient une image, mais quand je pense à Dieu, ce n’est d’abord pas un homme. Pour moi, Dieu est tout potentiel, tout savoir et toute conscience. Il ressent ce que tout le monde ressent … [Il se penche pour toucher la table].

Comment Dieu se présente-t-il sur « It Rains Love » ?

« It Rains Love » est un double sens. Cela signifie que Dieu pleut. Dieu pleut maintenant. Mais c’est aussi une question d’amour. Ne serait-il pas agréable que l’amour puisse pleuvoir partout et que, lorsque des gouttes vous frappent, vous appreniez à apprécier les autres ? La chanson et l’album dans leur ensemble traitent d’une appréciation humaine répandue – d’un amour non discriminatoire pour tout le monde. Si nous avons tous été trempés par la pluie, nous pourrions peut-être commencer à nous soucier davantage de notre prochain, maintenant et à l’avenir. Peut-être pourrions-nous arrêter d’essayer de devenir riches et commencer à nous assurer que la planète est toujours là pour notre progéniture, qu’elle reste le jardin d’Éden dans lequel elle a commencé.

 

 

La vidéo réalisée pour « It Rains Love » montre une romance réaliste entre deux travailleurs. Est-il important pour vous de rester loin des images glamour de l’amour ?

Oui ! Je traîte ça de façon aussi réaliste que possible pour amener les gens à réaliser que ressembler aux Kardashians ou autres personnes aisées n’est pas le meilleur moyen d’être heureux ! C’est très simple : vous êtes en vie, vous avez une famille en bonne santé ou, si ce n’est pas le cas, vous disposez des outils pour aider vos proches malades. Ce que je veux dire, c’est que nous avons tous accès au bonheur ! Indépendamment de notre situation personnelle, nous pouvons tous le trouver. J’aimerais parler à John Doe ou Susan Doe. Je n’ai aucun intérêt à m’adresser aux Kardashians, ou à des personnes riches qui mettent toute leur confiance dans des choses. Au lieu de ça, je me tourne vers des “gens normaux” et leur dis “je sais que nous n’avons pas de grand manoir, mais, bébé, on peut toujours être heureux ! Voilà ce qu’on a et moi je t’ai toi ! Les histoires d’amour invraisemblables à propos de personnes riches et puissantes ne nous font qu’espérer très fort d’avoir plus, plutôt que de se concentrer pour vivre notre vie pleinement. L’album traite de l’amour dans toute sa périphérie : l’amour de la planète, l’amour de l’humanité, l’amour intime, l’amour familial…

Votre écriture peut aussi porter un côté plus sombre. « Prisonner of Love » ; par exemple, évoque le fait d’être coincé dans une relation. Sur « Wake Up », vous semblez commenter votre désespoir à propos de la politique américaine aujourd’hui.

J’ai essayé de couvrir tout le spectre de l’amour. « Prisonner of Love » raconte un couple dont la relation est en état de ruines. Ils veulent partir, mais aussi loin vont-ils, de New York à Hong Kong, la douleur et l’amour sont toujours là.

Quant à « Wake Up », je ne me suis jamais vraiment lancé sur le versant engagé de la politique. Mais j’ai récemment trouvé plutôt perturbant que l’on puisse nous dire “ceci est vrai” ou “ceci est faux” sans qu’une preuve ne soit amenée pour justifier le propos. A notre époque, plus que jamais, c’est de la vérité que nous avons besoin. Restons concentrés sur ce qui est juste. Pensez à comment vous appliqueriez ça à la construction d’une machine, d’un avion par exemple : si vous mettez les bonnes pièces au bon endroit, il devrait voler sans aucun problème ! Mais si vous commencez par mettre les pièces au mauvais endroit, vous aurez des problèmes ! Cela s’applique également à notre intellect. Si l’on nous ment à répétition, il y a évidemment plus de chances que la société dévie ! C’est très dangereux. Mes paroles, même si elles sont occasionnellement sombres ne sont pas dites pour des raisons politiques spéficiques… Elles visent à faire réfléchir les gens. C’est moi vous disant : « pensez-vous ce que je pense ? »


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Pensez-vous que le soi disant retour de la soul ces dernières années a un rôle à jouer dans cette idée de réinstaurer des vérités locales ?

La soul est proche du gospel, c’est comme ça qu’elle a commencé. Quand Sam Cooke a commencé à chanter du rhythm and blues ou de la soul, les gens devaient être très précis dans leur usage des mots. S’ils étaient trop obscurs ou abstraits, ça passait au-dessus des auditeurs. En ce sens, j’essaye d’écrire des choses qui s’écoutent sans que l’on ait à s’inquiéter de la présence des enfants dans la pièce !

De la même manière que nos corps nécessitent une certaine nutrition, ce qui a trait au cerveau est aussi sain et nourrissant. Je ne parle pas tellement des adultes ici. Si notre musique va être jouée partout, il faut s’assurer qu’elle ne va pas être une mauvaise influence pour la jeunesse. Je ne voudrais personne de vulgaire dans ma maison pendant que des enfants y sont. Je demanderais à cette personne de partir !

Votre amour pour la musique s’est il déjà estompé – peut-être au début des années 80, quand vous aviez songé à arrêter ?

J’étais un peu désabusé à l’époque, oui. Mais hier, je me suis souvenu que c’était surtout dû à l’assassinat de la sœur de ma femme par son mari. C’était à la fin des années 70. Son mari s’était ensuite suicidé. Jusque là, je n’avais pas vraiment parlé de ça dans mes interviews car je n’avais jamais réalisé à quel point cela me touchait.

Après la mort, nous avons accueilli leur fils et l’avons élevé comme le nôtre. À partir de ce moment-là, je devais utiliser des énergies plus importantes que la musique. Les choses ont ralenti à la fin des années 70 et au début des années 80 parce que les besoins du quotidien avaient pris le dessus. Je réfléchissais davantage à la façon de gagner un dollar et d’élever des enfants. Je pensais que cela ne durerait pas, mais je n’avais même pas le temps de m’asseoir et d’écouter la radio que, tout d’un coup, les choses avaient changé. Si ce malheureux évènement n’était pas arrivé, les années 80 se seraient passées comme n’importe quelle autre période de ma vie musicale.

J’avais trop de responsabilités et je ne pouvais montrer aucune faiblesse. C’était beaucoup de pression. Je n’en ai jamais parlé auparavant parce que je ne voulais pas que ça sorte, je le voyais comme quelque chose de personnel. Mon histoire peut peut-être aider les autres à traverser une expérience horrible comme celle que nous avons vécue.

Pensez-vous que cette expérience a fondamentalement changé votre approche de l’écriture de chansons ?

Complètement ! C’est moins hors sol. Il y a eu un moment où je préférais travailler dans un restaurant de poissons plutôt que de continuer à faire de la musique. Je me souviens que ma femme m’avait regardé en me demandant si je connaissais quelque chose au poisson ! Elle me conseilla de m’accrocher à ce que je savais faire, même quand ça n’allait pas. Elle m’a compris et est restée à mes côtés quand moi même je voulais abandonner. Aujourd’hui cela fait presque 50 ans que nous sommes mariés et j’ai le sentiment d’avoir été béni tout le long !

 

50 ans ! Vous avez été le témoin de nombreuses époques dans la musique. Qu’est-ce qui maintient fraîche une chanson à travers les années ?  

Tout ce qui a une bonne attitude. Ariana Grande, par exemple, c’est fantastique ! J’écoute tout ce qui est vraiment créatif et authentique. Dans ma propre musique, j’ai essayé la dance. Je pourrais me consacrer à un autre genre musical, mais j’aime être sur scène, regarder un autre être humain qui est avec moi pour partager ce moment si particulier !

Je crois qu’à l’avenir nos vrais adversaires ne seront plus d’autres hommes mais l’intelligence artificielle. Des machines construites pour la construction, la nanotechnologie… Mais là je me perds un peu ! Imaginez le moment où l’on aura des machines qui seront si petites qu’on ne pourra pas les voir, que l’on pourra les boire pour qu’elles scannent notre corps et générent un résultat médical. Il y a quelque chose d’inhumain dans les directions que nous prenons.

La musique est-elle un moyen d’éviter cela ?

Aussi bons les algorithmes sont-ils, les ordinateurs sont basés sur la logique et les émotions ne le sont pas. La compassion ne rentre pas dans les données d’un ordinateur dont le but est d’être efficace. Le premier battement était humain, si votre cœur s’arrête, la musique s’arrête pour vous. Les hommes ne sont pas programmés pour être parfaits, et la musique faite par des algorithmes pourrait devenir inhumaine.

En grandissant, la seule chose que ma radio pouvait capter était la musique country. Je pouvais tomber sur de la soul pendant quelques heures les samedis. J’aime la country ! La soul, le blues et la country disent grosso modo la même chose, mais avec des points de vues différents. Brooks, Willie Nelson, Hank Williams, Porter Wagoner… Je les aime tous ! Pour moi, écouter de la musique ne se résume pas à des modes. Ce qui m’intéresse, ce sont les histoires qui sont racontées. J’écoute tout ce que je peux parce que si tu ne fais pas ça, tu risques de passer à côté de ce qui pourrait te dire pourquoi tu es là. Nous sommes tous à la recherche de nous-même ! Je suis toujours dans cette quête !

C’est drôle que vous disiez ça… Votre écriture semble évidente, sûre d’elle !

Je suis sûr de moi quand j’écris de la musique parce qu’ainsi ma foi va en quelque chose d’immatériel. Ma foi est placée dans quelque chose de plus puissant. J’écris ce qui me fait me sentir bien, ce qui rendra fière ma famille dans dix ans encore, comme : « ton arrière grand-père a fait cette chanson ! ». Il est question de fierté.

Qui sait ce que l’histoire dira de notre époque ! Tout ce que je sais est que nous avons entre les mains la possibilité de sauver ou détruire la planète. Nous avons besoin de solutions qui mettront davantage l’humain en avant. C’est un grand problème mais il peut être réglé, et il doit l’être très vite…


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Lee Fields, It Rains Love (Big Crown Records)

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