Cette réédition de Ataque est une agréable surprise, elle porte les couleurs du carioca des années 60 (la culture de Rio de Janeiro). L'opportunité pour nous de revisiter la carrière qui a connu plus de louanges aux Etats-Unis que dans son propre pays.
Ataque, l’album d’Eumir Deodato e os Catedrâticos (les détenteurs d’une chaire ; les spécialistes d’un domaine), paru initialement sur le label brésilien Equipe en 1965, est relancé chez Far Out en pressage 180 g vinyl après une remastérisation réalisée à partir des bandes-mères. C’est une agréable surprise tant Ataque porte les couleurs des sixties cariocas. Soit une occasion rêvée de revenir sur le parcours d’un artiste plus encensé aux Etats-Unis qu’au Brésil. Il est vrai que Eumir Deodato de Oliveira, plus communément appelé Deodato, a plus acquis ses titres de noblesse au pays de l‘Oncle Sam qu’en sa terre natale qu’il avait d’ailleurs quittée dès 1967, à l’âge de 25 ans, non pour fuir la dictature en vigueur après 1964, mais pour répondre à l’invitation de Luiz Bonfa et d’Astrud Gilberto d’assurer la direction musicale de leurs disques. Aux Etats-Unis, il a remporté nombre de prix, vendu des millions de disques, a écrit des arrangements pour Kool & The Gang, Frank Sinatra, Aretha Franklin, George Benson ; il fut largement samplé par les chanteurs de Hip Hop (Common, J.Dilla, Snoopy Dog…) et a accompagné Björk sur trois albums. Bref, une belle carte de visite qui n’estompe pas totalement le relatif oubli des années brésiliennes qui, elles, baignent allègrement dans les parfums bossa novistes. S’il revient aujourd’hui dans le paysage médiatique, c’est sans doute dans la même onde qui a remis en selle le chanteur et compositeur Marcos Vale, qu’il avait conseillé artistiquement pour la réalisation de l’album Samba de Verão. Le fait qu’il soit Instrumentiste / arrangeur et non chanteur en un pays qui valorise peu la musique instrumentale est indéniablement un des facteurs qui explique la relative méconnaissance de son talent au Brésil, à l’époque.
Les années d’apprentissage
Né en 1943 à Rio, Deodato étudie l’accordéon et le piano tout en restant fondamentalement un autodidacte. Dès 1959, lorsqu’il rejoint la formation du guitariste Roberto Menescal, un des jeunes créateurs de la bossa nova, il commence à composer puis monte un sextet qui se produira dans des clubs renommés comme Au Bon Gourmet ou le Zum Zum. En qualité d’arrangeur, il travaille sur les premiers disques des chanteurs Marcos Vale et Wilson Simonal avant de devenir free-lance et organiste exclusif de la major Odeon. En 1964, pour l’étiquette Forma, il assure la direction musicale et les arrangements du LP Inutil Paisagem autour des musiques de Jobim ; parallèlement, il lance le LP Os Gatos pour Philips.Vient alors le temps de la conception de l’album Ataque, marqué au fer rouge par l’esthétique bossa nova quoique le genre commence à décliner au Brésil. Deodato, das un entretien récent, soulignait toutefois qu’il touchait déjà au jazz fusion (« j’empruntais au rock pour le jeu de guitare et j’apportais une touche jazzy avec le fender rhodes et je puisais aussi quelques inspirations classiques »).
Jazz et Bossa Nova
Lorsque parait Ataque, Eumir Deodato n’a jamais que 22 ans mais a déjà, comme on a pu le lire, des références non négligeables dans le monde musical. Il débute sa carrière dans un Brésil encore heureux qui voit sortir de terre la future capitale Brasilia et l’émergence de la bossa nova. Comme on le sait, la naissance officielle de la bossa nova date de juillet 1958 avec la parution de Chega de Saudade de João Gilberto et dont les trois premiers albums vont tant bouleverser le paysage que le Brésil devenait tendance : à preuve, le concert donné, pour une soirée people à laquelle même Miles Davis assistera, le 21 novembre 1962, à Carnegie Hall. La bossa nova va virer phénomène de mode et nombreux sont les jazzmen qui vont emprunter ses accents ; qu’on pense à Stan Getz qui ne fit pas qu’enregistrer « Girl From Ipanema » ; il y eut aussi, entre autres, Clare Fisher, Charlie Byrd, Coleman Hawkins, Bud Shank, Dizzy Gillespie, Herbie Mann qui enregistrera en live à Rio en 1962 avec Jobim et le jeune Baden Powell, Jon Hendricks qui rendra hommage à Joao Gilberto. C’est comme un juste retour des choses, un des thèmes majeurs de la bossa nova ne s’intitule-t’il pas « Influência do jazz » ? C’est donc dans les eaux de la bossa nova que boit Deodato ; un style qui relève plus d’une évolution que d’une révolution radicale. Il s’agit d’une simplification du samba qui reste le terreau natif, et d’une écriture harmonique autour de belles mélodies intimistes. La bossa nova joue sur les accords altérés, la simplicité raffinée des arrangements et, surtout, donne à la conjonction guitare/batterie une scansion rythmique différente.
La conception de l’album
C’est donc dans ce bouillon de culture que va éclore le talent de Deodato sans qu’il sorte du lot auprès du grand public. Le répertoire, outre les propres compositions du leader (Ataque, E Bom Parar, Porque Somos Iguais..), emprunte à Marcos et Paulo Sergio Vale (Os Grilos, Terra de Ninguem, Razão de Viver….), à Baden Powell (Feitinha pro Poeta), aux sambistes Elton Medeiros et Cartola (O Sol Nascera ) ainsi qu’à Niltinho et Haroldo Lobo (le père de Edu). Les arrangements assez léchés, quoiqu’ils sonnent parfois un peu datés, valorisent les interventions de l’orgue à la manière de Walter Wanderley ainsi que les magnifiques solos du tromboniste Maciel et les nappes de la section des cuivres. La batterie de Wilson Das Neves et les percussions de Rubens Bassini sont au premier plan pour imprimer cette pulsation si caractéristique de la bossa nova.
Eumir Deodato e os Catedrâticos, Ataque (Far Out Recordings)