Fondateur du RH Factor, compositeur de « Strasbourg Saint-Denis », le trompettiste Texan Roy Hargrove est décédé à l'âge de 49 ans.
Depuis des années, les concerts de Roy Hargrove étaient tributaires de son état de santé. On l’a vu étincelant, actionnant sa trompette avec la force de l’histoire dans ses poumons, et la vivacité de son jeune âge ; on l’a vu à bout de souffle, gâchant son talent, abandonné qu’il était par un corps qu’il ne ménagea pas. Né en 1969 à Waco, Texas, il vient de décéder à 49 ans, alors qu’il venait justement de se montrer au meilleur de sa forme, à plusieurs reprises, lors de sa dernière tournée estivale. La tristesse qui s’est emparée du monde du jazz à l’unisson, dès l’annonce de sa disparition, éclaire l’impact qu’il a laissé à la fois auprès des tenants de la tradition et auprès du nouveau public pour lequel il constitua une formidable porte d’entrée.
En formation classique ou avec le RH Factor, Roy Hargrove réunissait deux jazzmen en un. Eclos grâce au trompettiste du canal historique, Wynton Marsalis qui le repéra dans les années 1990 alors qu’il était encore lycéen à Dallas, il fut étudiant du Berklee College of Music de Boston, puis de la New School de New York. Il tentait alors de marcher dans les pas de Clifford Brown, Freddie Hubbard, Fats Navarro et Woody Shaw, tout en citant John Hicks, James Williams et Bobby Watson comme ses influences de compositeur. Il n’avait que 16 ans quand il fit une rencontre marquante, celle du contrebassiste Christian McBride – 14 ans seulement – avec qui il a noué une amitié fidèle, audible notamment sur l’album Parker’s Mood (1995) sur lequel il réunissait un trio inhabituel, avec Stephen Scott au piano. Depuis le début des années 1990, il creusait un sillon si profond qu’il put compter avec les participations notamment de Joshua Redman, Johnny Griffin, Stanley Turrentine, Branford Marsalis, Joe Henderson et Ron Blake sur With the Tenors of Our Time qui installa sa notoriété en 1994. On lui accolait alors l’étiquette “néo-bop”, à quoi il répondait (dans une interview de 1996 pour All About Jazz) : « Néo-bop ? C’est quoi ça ? J’imagine que c’est une manière de décrire la façon dont beaucoup d’entre nous jouent dans la tradition. Tout ce que nous jouons, dans le jazz, est le reflet de nos expériences dans la vie. Je suis influencé par la musique de John Coltrane, Charlie Parker, Miles Davis et Dizzy Gillespie. Mais je suis aussi influencé par la musique de KRS-One, Wu-Tang Clan et LL Cool J, et Peaches & Herb, et Earth, Wind and Fire. Ça fait toute la différence. (…) Il y a des gens chez moi qui me demandent : “Pourquoi tu ne fais pas du rap ?” Ils n’attendent pas de moi, une personne jeune, que je joue du jazz. J’ai toujours eu besoin de me lancer des défis. Et parce que j’aime tellement la musique, je n’ai jamais voulu tomber dans une quelconque routine. »
Récipiendaire d’un Grammy Award (le second après le projet afro-cubain Habana en 1998) pour son album cosigné avec Herbie Hancock et Michael Brecker, Directions in Music : Live at Massey Hall (2002) qui explorait le répertoire de Miles Davis et John Coltrane, Roy Hargrove a infiltré toute la scène nu-soul à la même époque. Il est notamment présent en 2000 sur deux piliers du genre, Voodoo de D’Angelo et Mama’s Gun d’Erykah Badu, tout en soufflant sur Like Water for Chocolate du rappeur Common, tous membres du collectif Soulquarians (avec également Questlove, James Poyser, Pino Palladino, etc.). De quoi lui inspirer la création du RH Factor dont le premier opus, Hard Groove (2003), compte avec les participations de D’Angelo, Erykah Badu et Common, mais aussi Q-Tip, Stephanie McKay, Meshell Ndegeocello, Steve Coleman, Jacques Schwarz-Bart ou Bernard Wright – tout New York défila pendant deux semaines aux studios Electric Lady. Incontestablement le marqueur d’une époque, ce brillant album jazz-funk-rap – une fusion sur laquelle beaucoup se cassèrent les dents – fut suivi de deux autres opus accompagnés de concerts bouillants, qui attirèrent à Roy Hargrove un public jeune et enthousiaste. Il a toujours revendiqué, aussi, son plaisir d’entertainer.
Roy Hargrove avait imaginé le RH Factor comme un hommage à son père – mort en 1995 – qui lui disait souvent : « J’aime le jazz, mais quand vas-tu faire quelque chose d’un peu plus contemporain, quelque chose de funky ? » Par la suite, le trompettiste a gardé un pied dans chaque monde, ouvrant le chemin des fusions pour Christian Scott ou Ambrose Akinmusire, sans se déconnecter du quintet qui constituait son véritable ancrage. On sentit, souvent, qu’il se raccrochait à sa propre musique. Placé sous dialyse depuis plusieurs années, il est mort dans un hôpital new-yorkais après avoir été hospitalisé pour un problème rénal, quelques semaines après avoir donné ses derniers concerts en Europe et aux États-Unis. Les hommages, dont celui de Christian McBride déplorant la perte d’un « frère », sont au niveau de son influence sur sa génération et, désormais, sur celles qui suivront.
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