A l’occasion de la sortie de son album Star People Nation, le trompettiste américain Theo Croker évoque sa collaboration imprévue avec Roy Hargrove, sa filiation avec le trompettiste Doc Cheatham ainsi que ses cours par téléphone avec Wynton Marsalis, Clark Terry, Al Grey ou Baden Powell…
Le dernier album de Theo Croker est une suite assez logique des précédents, Afro Physicist (2014) et Escape Velocity (2016) : dans un esprit live, on y retrouve un jazz somme toute contemporain mêlé au hip-hop (« Understand Yourself » feat. Chronixx).
L’album est-il politique ?
Contrairement aux accents politiques auxquels pourrait faire référence le titre Star People Nation, Theo Croker se défend de rentrer dans ce qui est selon lui, une « hype facile » : « Je sais que beaucoup utilisent le jazz pour pimenter leur musique, politiquement, mais ne contribuent pas en retour à cette musique car ils ne l’apprennent pas et ne respectent pas les maîtres ou leurs ancêtres. »
A la question de cette éventuelle revendication politique musicale compte tenu du climat politique actuel de son pays, le musicien est catégorique : pour lui, rien a changé. Si l’Amérique opte pour des mesures accentuant les discriminations envers certaines communautés, le racisme a lui pourtant toujours existé. « Je ne suis pas surpris des États-Unis actuellement. Il n’y a rien de nouveau. L’Amérique est un pays raciste, construit sur l’esclavagisme. Maintenant, nous avons un président qui choisit délibérément, qui nourrit le discours de ces genres des personnes qui préféreraient vivre dans une société raciste. Le reste du monde peut désormais simplement en prendre conscience. »
Une famille inspirante
Si son nouvel album Star People Nation (Okeh/Sony) est une longue marche débutée officiellement en novembre 2016, il est aussi le fruit d’un passé plus lointain. Theo Croker attend ses trente-trois ans pour enregistrer le cinquième morceau de son nouvel album, « Portrait of William », un hommage composé à seulement dix-huit ans pour le décès de son père William Henry Croker qui fut un fervent défenseur du mouvement des droits civiques aux côtés de Martin Luther King.
Son grand-père, le légendaire trompettiste et chef d’orchestre Doc Cheatham (1905-1997), membre des big band de Benny Goodman et Cab Calloway entre autres, fut évidemment également une influence majeure pour lui – même si elle se manifeste tardivement : « C’est quand j’ai commencé à jouer que j’ai commencé à comprendre qui il était. J’ai découvert que mon grand-père était connecté à ce vaste monde qu’est le jazz. »
S’il se défend d’un traitement privilégié, son aïeul lui donnera néanmoins accès à des musiciens tels que Wynton Marsalis, Roy Hargrove, Clark Terry, Al Grey ou Baden Powell – « J’avais 12 ans, j’avais ces mecs au téléphone, qui me donnaient des leçons ! ».
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Des débuts en Chine à Dee Dee Bridgewater !
Bien entouré de ses aînés et mentors qui ponctueront sa route, Theo Croker a su se construire sa propre identité. En 2006, il part s’exiler en Chine pendant sept ans. A Shanghai, on lui propose de jouer six jours sur sept dans un club. Chose inespérée à New York, où, pour la grande majorité, seules les jams et les écoles permettent de s’exprimer sans pour autant vivre de musique. « Je suis un trompettiste, je suis la dernière personne que tu as besoin d’avoir dans ton groupe. J’ai donc décidé que je voulais être un leader. » Et le destin fut de son côté.
Alors qu’il est en répétition à Shanghai, la chanteuse Dee Dee Bridgewater entre dans la pièce. Intriguée par un visage qui lui est familier et seule personne de couleur parmi les musiciens présents ce jour-là, elle s’adresse directement à Theo Croker : « Tu ressembles à quelqu’un que je connais, parle-moi de ta famille. » Le jeune trompettiste mentionne le nom de son grand-père, le musicien Doc Cheatham, avec qui il aurait – en plus d’un talent certain – des traits physiques communs. Sans manquer aucunes de ses représentations et divers projets, la chanteuse lui insuffle l’idée de revenir aux États-Unis pour le produire, déterminée à l’aider.
De leur collaboration, naît l’album Afro Physicist, en 2014, sur lequel apparaît Roy Hagrove, une réelle source d’inspiration. « La présence de Roy Hargrove sur Afro Physicist n’était pas vraiment prévue, c’était par chance ! Nous étions en train d’enregistrer et j’ai décidé d’appeler Roy. Je lui ai dit qu’on enregistrait un de ses morceaux, et que je lui laissais de la place si il voulait chanter. Il m’a demandé “comment tu sais que je sais chanter ?”. Deux heures plus tard, il était au studio. A chaque fois que je jouais derrière lui, en train de chanter, je me disais que c’était irréel, c’était vraiment génial ! »
Theo Croker, Star People Nation (Okeh/Sony)